Robert Mapplethorpe comme personne

24 juillet 2010

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Parrot Tulips © Robert Mapplethorpe Foundation

Au risque de me répéter, il faut avoir vu cela. La beauté. Vénéneuse. La révélation du monde. Que sa part soit sombre, peu importe. Ce qui compte, simplement, est que nous puissions encore, toujours et partout, génération après génération, découvrir les images du photographe américain Robert Mapplethorpe (1946 – 1989), loin du scandale et de la vaine censure. Sans autre justification que leur « stricte nécessité artistique ». Telles que les présente le commissaire de cette remarquable exposition Werner Lippert.
Les photographies du new-yorkais Robert Mapplethorpe se déploient aujourd’hui au NRW-Forum de Düsseldorf. Elle peut être longue la route jusque-là mais quelles visions elle procure. Toute la force concentrée d’un regard unique, tendant par sa cohérence à l’universel. Fleurs et sexes masculins, hommes noirs, femmes blanches, admiration des corps vivants et sous tension – une vidéo intéressante, en fin de parcours, laisse témoigner trois de ses body-models dont Lisa Lyon et Ken Moody –, fascination de la mort faisant partout chemin, sadomasochisme en école de la délicatesse comme la décrivait Michel Foucault à Hervé Guibert. Des images connues, revues, sans doute mais sans jamais lasser. Reviennent encore, merveilleux, quelques polaroids, l’autoportrait à la tête de mort et des portraits (Burroughs à la carabine, Andy Warhol, Isabelle Rossellini, Debbie Harry), le fameux american flag en lambeaux… Sans oublier une heureuse section consacrée à sa relation avec la chanteuse Patti Smith, photographiée, aimée comme personne. On annonce à la rentrée son document « Just kids » aux Editions Denoël, le livre qu’elle s’était promis d’écrire sur leur aventure. On y reviendra.

Robert Mapplethorpe, NRW-Forum, Düsseldorf, jusqu’au 15 août 2010.

Claire Diterzi : la demoiselle du Luxembourg

23 juillet 2010

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© DR

La terre entière, rassurons-nous, seulement de France et de Navarre, vient de lui tomber dessus à bras raccourcis — le vénérable Jean Guillou de Saint-Eustache en a même refusé le ruban rouge que le ministère de la Culture, enfin reconnaissant, voulait lui offrir pour ses 80 ans de pontificat. La pimpante Claire Diterzi, après une série d’honnêtes concerts, mis en scène par l’idéal argentin Martial Di Fonzo Bo, pour défendre les couleurs aimables de son concept-album « Rosa la rouge », vient d’obtenir une bourse de résidence à l’Académie de France à Rome, la première artiste de musique « non savante » à intégrer la prestigieuse Villa Medicis. Le père Guillou dénonce : « la chanteuse de chansonnettes a pris la place d’un créateur, alors même que le nombre de places réservées aux musiciens avait déjà diminué ». Tout fout le camp ! Pourtant, difficile de ne pas reconnaître à Claire Diterzi une véritable fibre artistique qui tranche avec bien des chanteuses, jeunes et jolies, de notre époque…

Rosa la Rouge, Claire Diterzi. Un spectacle en tournée dans toute la France.

Les Lalanne aux Arts déco, l’expo pas si bête !

4 juillet 2010

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© Claude et François-Xavier Lalanne

On y a cavalé, au dernier jour, à l’heure de la fermeture pour constater que le truculent travail de Claude et François-Xavier Lalanne n’avait pas pris une ride. Moutons, singes, rhinocéros, ânes, chameaux, crapaud, hippopotames, chats, et je n’oublie pas, le fameux homme à tête de chou : un vrai bestiaire, mêlé de feuilles d’or et de bronze, sculpté avec une élégance et une fantaisie rares. On a l’air de plaisanter, mais tout cela est très sérieux, vieillissant sans faute de goût, ni consternation pour des foucades qu’on imaginerait volontiers d’une autre époque, celle des Rothschild, Noailles et autres Saint Laurent.

Les Lalanne, deux sculpteurs au musée des Arts décoratifs (compte rendu).

L’atelier sans vie de Monsieur Freud

2 juillet 2010

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Leigh on a green sofa, 1993 © Lucian Freud

On aurait tellement aimé le choc. Et rien, juste rien, tellement la scénographie de cet atelier de Lucien Freud au Centre Pompidou a paru sommaire. Lucian Freud à Beaubourg, on s’en réjouissait d’avance ! De voir, enfin, rassemblés chacun de ses tableaux disséminés dans les expositions du monde entier ou découvert, dans le recueillement, à la National Portrait Gallery de Londres. Ici, rien de religieux, vraiment rien. De la chair exposée sans discernement. Il faut que le talent de Lucian Freud soit immense pour sortir, indemne, de ce funeste traquenard.

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Scènes d’atelier, Thames & Hudson © David Dawson

L’enchantement Pascale Marthine Tayou

28 juin 2010

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© Pascale Marthine Tayou

On l’avait repéré lors des deux dernières Biennales de Venise, l’équipe de la Gare Saint-Sauveur lui a donné à Lille un terrain de jeu favorable à l’expression de son beau talent. Le plasticien camerounais Pascale Marthine Tayou compose de mille fils tissés les uns aux autres, un monde africain, concret mais rêveur, puissant d’évocation, de songes et de peurs terribles. De bric, de broc, en rafistolage et récupérations, tout un monde apparaît, disparaît, à mesure qu’on se familiarise à cette forêt de carcasses de voitures, de sacs plastiques ou de boîtes alimentaires : « la chanson sourde d’une histoire d’amour entre hommes dans le grand lit d’une aventure imaginaire à inventer in livre et in situ ». Croyez-le, le nom du monde de Pascale Marthine Tayou est magie !

Traffic jam, une exposition de Pasacle Marthine Tayou, Gare Saint-Sauveur (compte-rendu)

Les ballades extravagantes de Monsieur Fau

28 juin 2010

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Michel Fau © Marcel-Hartmann/Contour-by-Getty-Images

Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée ! Michel Fau, l’extravagant comparse d’Olivier Py, l’interprètes de toutes ses fantaisies mystiques, était pour quelles dates sur la scène du Théâtre du Rond-Point pour un tour de chant, modeste et sublime. Une revue qualifiée par lui d »‘impardonnable, pathétique et dégradante ». Si, à l’automne, par hasard, le spectacle court les routes de France, ne vous fiez pas à cette publicité mensongère et précipitez-vous. Vous ne serez pas déçu par les improbables numéros menés tambour battant par Michel Fau et ses acolytes Joël Lancelot et Delphine Beaulieu. Michel Fau aime le music-hall et lui rend hommage avec une férocité des plus beaux diables, reprenant aussi bien Piaf, Gainsbourg que Loana ou Carla Bruni en une succession de saynètes drôlissimes. On rit, on s’amuse, l’émotion n’est jamais très loin. Une vraie réussite.

L’improbable revue pathétique et dégradante de Monsieur Fau (compte-rendu).

M’as-tu vu ? Episode 50

24 juin 2010

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© DR / Next

« Je ne l’ai pas demandée, vous savez !… Carla essaie de me rabibocher avec Frédéric Mitterrand, que je n’aime pas du tout. Je connais Carla depuis qu’elle a débuté, cela fait vingt ans. Elle est assez drôle, elle parle beaucoup, elle s’ennuie un peu. »
Karl Lagerfeld, Libération, le 22 juin 2010.

De quelques expositions d’un ennui mortel !

17 juin 2010

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© Andy Warhol Foundation

Elles n’ont pas passé l’été, elles ne laisseront pas de grands souvenirs. Alors, évacuons-les d’une pichenette, ces expositions-événements qui ne débouchent que sur un vague ennui. Des considérations et variations sur la mort, ici pour « Les vanités, art vivant » au Musée Maillol, une longue dissertation sur le crime, pardon « la douleur, le supplice, la mort », pour la très chic « Crime et châtiment » au Musée d’Orsay curatée, noblesse obligée, par les retraités ou académisés Robert Badinter et Jean Clair. D’une part comme de l’autre, rien à dire, rien à voir, des oeuvres placées les unes derrières les autres, au seul service de l’illustration d’un propos, sans considération de l’œuvre et du parcours des artistes. On pioche ici une tête de mort, là encore une chaise électrique et on sort même d’un musée de société la célèbre « veuve » du bon docteur Guillotin… Médecin, humaniste et homme politique français, on lui attribue à tort la machine à décapiter, lui qui pourtant ne se borna qu’à demander à l’Assemblée un instrument qui diminuerait l’horreur de l’action du bourreau…

M’as-tu vu ? Episode 49

12 juin 2010

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Jean-Christophe Rufin © Stéphane de Sakutin

A lui aussi, la Sarkozye aura tout donné – un prestigieux poste d’ambassadeur au Sénégal, illustration de la nouvelle diplomatie française, à l’heure de l’heureuse ouverture kouchnerienne – et soudain, au nom des intérêts supérieurs de la France en Afrique et à la manière de ce pauvre monsieur Bockel, tout repris. Ne le plaignons pas non plus, peut-être qu’à partir du 30 juin, date à laquelle il a décidé « unilatéralement de quitter ses fonctions », ses collègues du Quai Conti auront le plaisir de le croiser davantage aux séances du dictionnaire de l’Académie Française. La politique africaine de la France se fait à l’Elysée, Monsieur Rufin ! Le vice-président Guéant la dirige d’une main de fer, sans le moindre gant de velours, entouré de ses émissaires attitrés, Robert Bourgi entre autres.
Le président Wade n’en pouvait plus de ce serviteur de l’Etat français, épris des nobles valeurs d’égalité, de fraternité et de liberté. Il aurait encore eu cette phrase malheureuse au détour d’une télégramme diplomatique, à propos d’investissements supplémentaires demandés par le président sénégalais sans exigeance de réformes démocratiques. Tout crédit octroyé reviendrait à « fournir à un toxicomane la dose qu’il demande, mais qui le conduit un peu plus sûrement vers sa fin ». Wade père et fils n’ont pas aimé, le téléphone a sonné à l’Elysée. On a proposé au turbulent ambassadeur de diriger l’ »Institut français », la nouvelle agence de promotion de la culture française à l’étranger. Il a refusé, faute de crédits et de prestige suffisant. Las, rupture des négociations, ces jours-ci, alors qu’on célèbre de par le continent le 50e anniversaire des Indépendances africaines : l’ambassadeur Rufin sera remplacé à la fin du mois par un vieux routier du continent africain Nicolas Normand. Fini de jouer les Paul Claudel, retour au macadam parisien, avec une furieuse envie de flinguer du Sarkozy, semble-t-il…

White material : le mystère du chien jaune

12 juin 2010

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Isabelle Huppert © Wild Bunch Distribution

On sait mes faibles dispositions à endurer les gesticulations de Mme Huppert. Sa rencontre en Sainte Trinité avec Claire Denis, Marie Ndiaye laissait présager le pire. La presse était respectueuse, sans enthousiasme, micro tendu sans évanouissement, ni pâmoison. On allait voir. Disons le d’emblée : ce « White material » – étrangement déjà le nom du projet que Claire Denis préparait avec Bernard-Marie Koltès avant sa mort – est à tout le moins sensationnel. Claire Denis signe son film le plus intéressant depuis plusieurs années. Sans manière, sans explication, sans afféterie stylistique, sans pose. Le coeur de l’Afrique bat, coule dans les veines de ce film et les acteurs, toujours délicatement mis en « condition », en sont la pulsation visible. Huppert, d’abord, Huppert d’accord mais aussi le furieux Nicolas Duvauchelle en fils de famille flingué, Christophe Lambert en pleine résurrection, Michel Subor comme échappé d’un « Apocalypse Now » africain.
Quelque part en Afrique, dans une région en proie à la guerre civile, Maria refuse d’abandonner sa plantation de café avant la fin de la récolte. Terre rouge d’Afrique, comme sentier de guerre et de résistance, hommes et femmes en rebélllion, armés jusqu’aux dents, tête de mouton égorgé qu’on jette dans les sacs de café en signe de défiance, métamorphose canine. Naissance d’un Afrique fantôme. Le domaine est bientôt la proie des flammes. Il faut fuire. Dans cette fuite, les réminiscences d’une vie de labeur, un goût du travail sur cette terre fragile forment un superbe chant funèbre, un adieu à l’Afrique d’une femme, à jamais bouleversée par ce continent.

White material, un film de Claire Denis, avec Isabelle Huppert, Nicolas Duvauchelle, Christophe Lambert, Isaach de Bankolé. En salles (1h42).

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