Un homme, un portrait. Sam Wagstaff, un collectionneur. Si le portrait documentaire que lui a consacré James Crump en 2007 associe, marketing oblige, le nom de Robert Mapplethorpe, Sam Wagstaff (1921 – 1987) se défend très bien tout seul. Un homme, élevé dans les meilleurs cercles new-yorkais, un de ces « mad men » de la publicité, qui envoie tout valser pour reprendre des études d’arts à New-York et devenir, avec l’aide de sa famille, l’un des tout premiers collectionneurs de photographies au monde (Carroll, Le Gray, Weston), formant ainsi un des premiers « goûts » pour ce nouvel art. D’homme sérieux, ancien combattant sur les plages d’Omaha Beach en 1944, Sam Wagstaff, au contact des artistes et des photographes qu’il admire, en devient extravagant, assumant ses choix artistiques (Agnes Martin, Tony Smith et les tenants de l’art minimal) autant que sexuels. Avec Robert Mapplethorpe, rencontré en 1972, il formera l’un des couples les plus en vue de l’art contemporain, le premier manipulant l’autre pour leur plus grand plaisir mutuel, avant que la vie, d’abord, puis la maladie ne les séparent. Sexe, drogue, toutes les libertés sont admises dans ces insolentes années 70. En 1984, Sam Wagstaff cède sa collection de plus de 30 000 images au J. Paul Getty Museum pour 5 millions de dollars et se consacre à une nouvelle collection d’argenterie. Tout le profit, contesté par la sœur du collectionneur, sera à sa mort en 1987 pour Robert Mapplethorpe et quelques années plus tard pour la Robert Mapplethorpe Foundation. Une vie de dévotion aux artistes.
Sam Wagstaff, un portrait d’or et d’argent
7 août 2010M’as-tu vu ? Episode 55
7 août 2010
A day in Gay America : Jake Shears © The Advocate
A découvrir dans le numéro d’août du magazine « The Advocate » et sur le site Internet du journal une série intitulée « A day in Gay America ». Beau reportage sur la diversité culturelle, intellectuelle, sociale et politique des homosexuels aux Etats-Unis. Et parmi eux, le sautillant Jake Shears des Scissor Sisters dont on recommande le récent « Night Work ».
La Beat generation, loin du bout du rouleau
5 août 2010
Peter Orlovsky et son amant Allen Ginsberg © DR
Le 21e siècle sera beat ou ne sera pas ! Impossible, ces jours-ci, de passer à côté de ce revival heureux de la Beat generation. Gallimard publie la nouvelle traduction de « Sur la route » de Jack Kerouac. Il s’agit du rouleau original, la première version écrite « d’un trait » par Kerouac, avant tripatouillage, coupe et censure de son éditeur lors de sa parution en 1957. De ce livre, fortement inspiré par la rencontre de Kerouac avec Neal Cassady « chauffard génial, prophète gigolo à la bisexualité triomphale, pique-assiette inspiré et vagabond mystique », Ginsberg écrira : « Quand tout le monde sera mort, le roman sera publié dans toute sa folie ». Kerouac, disparu prématuré à 47 ans, en 1969, Ginsberg en 1996, Peter Orlovsky, le 30 mai dernier, on peut désormais lire « Sur la route » dans toute sa folie, puis retrouve les mêmes dans le bel album « Beat memories », catalogue d’une exposition de photographies d’Allen Ginsberg à la National gallery of Art, documentant cette période entre New York et Tanger avec des portraits de William Burroughs, Gregory Corso, Francesco Clemente. Bientôt viendra aussi un film « Howl » de Rob Epstein (« The celluloid closet » et « The times of Harvey Milk ») et Jeffrey Friedman avec le sympathique James Franco. Qu’il soit l’occasion de relire « Howl et autres poèmes » de Ginsberg, paru à l’automne 1956 (Editions Bourgois). A sa publication, le recueil fut saisi par les services de douane américains et la police de San Francisco, puis fit l’objet d’un long procès au cours duquel un certain nombre de poètes et de professeurs témoignèrent devant la Cour que ce livre n’était pas obscène. L’époque, rassurons-nous, a bien changée…
Brooklyn Museum : Andy Warhol for ever
5 août 2010
Andy Warhol, Self-Portrait (Strangulation), 1978 © 2010 The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts/Artists Rights Society (ARS), New York
Basquiat toujours, mais par bande. Celle, folle, furieuse mais hautement avisée, emmenée par Andy Warhol. Il y a, pour lui comme pour les autres, une fin à tout. Celle d’Andy Warhol, mort à 58 ans en 1987, fait l’objet d’une belle exposition au Brooklyn Museum. On découvre les derniers travaux d’un homme devenu une icône, entouré d’un cour, entretenue à coup d’émissions de télévision, de journaux (Interview) et de prestations plus ou moins rémunératrices avec les belles fortunes de son temps. L’usine de recyclage tourne à plein régime avec des sérigraphies sans attrait (American Indians, Athletes, Torsos, Portrait of the Jews of the 20th Century, Dollar signs, Guns, Knives), mais quelle place reste-t-il pour l’art « quand on a tout connu » ? La question est posée, la réponse du Brooklyn Museum est plus qu’intéressante, marquant le retour du Pop Artist à la peinture manuelle (notamment dans ses multiples recherches pour « Last Supper » et ses collaborations avec Jean-Michel Basquiat ou Francesco Clemente) et une relative abstraction, exemplaire dans sa série « Oxydations » réalisée par la projection d’urine sur des plaques de métal. Le résultat est stupéfiant. Certains disent y retrouver le talentueux Andy Warhol des débuts, sa sensibilité de peintre et d’artiste, bien que ces quelques 45 œuvres représentent moins 1% de la production d’Andy Warhol sur les dix dernières années de son existence. The show must go on !
© Andy Warhol Foundation for the visual arts
Andy Warhol, The last decade, Brooklyn Museum, jusqu’au 12 septembre 2010.
Andy Warhol, Outside His Comfort Zones, par Roberta Smith, New York Times, 18 juin 2010
Intensément Basquiat
4 août 2010
Riding with death, 1988 © Collection privée / 2010, Prolitteris, Zürich.
Basquiat comme jamais. Intensément servi par la Fondation Beyeler de Bâle. Dans ce musée de verdure, à quelques encablures de la frontière allemande, un trésor est à la portée de tous les yeux, celui, total de Jean-Michel Basquiat (1960-1988). En plus de cent cinquante toiles, dessins, assiettes et autres portes ou châssis tendus de toiles – tout, des premières grafs jusqu’à la complicité artistique avec Keith Haring et Andy Warhol, trouve son ordonnance éclatante dans cette exposition qui fera date. Intelligence de la scénographie, précision d’expert sur les engagements (le rejet de la société de consommation, la lutte contre les inégalités et le racisme, les hérauts de la cause noire qu’ils soient hommes ou femmes politiques, sportifs ou artistes) mais aussi la technique du plasticien, compréhension et analyse de ses multiples repentis qui font de la peinture de Basquiat un art extrêmement précis et raisonné. Une belle exposition qui fait son chemin et ne vous perd pas en route. On croit connaître Basquiat, on le découvre, en fait. Tout en subtilité et en poésie, lui le grand admirateur des poètes beat, William Burroughs et Brion Gysin en tête. Et l’exposition vous laisse en une dernière station devant les ultimes travaux de l’artiste haïtien, mort d’overdose en 1988, à 27 ans, laissant derrière lui une œuvre de près de 1000 tableaux et de 2000 tableaux. Basquiat voit la mort en face, la guette, la sait en embuscade, l’écrit en une obsession de métaphores (« MAN DIES ») et la dessine, tentant de la terrasser. Une image sainte.
© Basquiat Estate
Felix Gonzalez-Torres : recouvrez-le de lumière
4 août 2010
Untitled (Perfect Lovers), 1991 © FGT Foundation / Courtesy Andrea Rosen Gallery.
Naissance d’une vision. Tremblement de beauté, ivresse de la découverte d’un artiste dont les signes autant que les oeuvres bouleversent. Felix Gonzalez-Torres. Cubain, on pourrait commencer par cela. Né en 1957 à Guaimaro. Exilé en Espagne, puis à Puerto Rico et aux Etats-Unis, poursuivant des études de photographie avant d’enseigner à New-York. Artiste, plasticien, concepteur d’installations minimales dont la beauté, la radicalité, l’intelligence et osons-le, une forme délicate de romantisme soulignent plus encore la tristesse de le savoir mort des suites du SIDA en janvier 1996. Force de la lumière, plaisir du jeu. De lui, au hasard de la collection Beyeler, flambante de ses Picasso, Giacometti, Bacon, Richter, nous découvrirons deux ou trois tas de bonbons, emballages transparents ou arc en ciel de couleurs métalliques, des horloges jumelles qui finiront bien à un moment par perdre le même tempo. Un secret : celui d’un petit mouchoir paternel, posé à même le sol et recouvert, encore, de quelques friandises. Plus loin, un splendide gaillard noir, écouteurs sur les oreilles, slip d’argent, dansant au son d’une techno de bazar. En chair et en os. On ne sait jamais à quelle heure, il viendra, mais il reviendra. Et comme une chapelle ardente, au sous-sol, ce gigantesque tapis de confiserie d’argent et une lumineuse guirlande d’ampoules. C’est un tour, le mien, dans l’exposition Felix Gonzalez-Torres à la Fondation Beyeler. Il y en a mille autres, dans un dialogue permanent et fécond entre les oeuvres du musée et les créations de Gonzalez-Torres. Ce presque rien, cet art pauvre est un tout face à ses oeuvres majestueuses. Une écriture radicale pour un projet artistique d’une cohérence parfaite, qui naît, disparaît, réapparaît sans cesse et nous touche au coeur.
Felix Gonzalez-Torres © DR
Leigh Ledare, nom d’un irrégulier !
4 août 2010
Leigh Ledare © Greene Naftali Gallery, New York
Sa première exposition aux Rencontres d’Arles, à l’invitation de Nan Goldin (« il est prêt à explorer l’inconnu, à prendre des risques et à l’assumer »), n’avait laissé personne indifférent. Leigh Ledare est à nouveau à Arles cette année, avec le projet « Double Bind » qui poursuit et complète la découverte de son talent équivoque. Un dialogue d’images et d’archives tirées de magazines, un triangle d’amour perdu qui réunit dans une maison de campagne l’artiste, son ex-femme et son nouveau mari. L’ensemble a sa cohérence, teinté de bizarre et d’un exhibitionnisme foncier – sans pour autant avoir la force de ses travaux précédents qui mettaient l’artiste, né en 1976 à Seattle, ancien assistant de Larry Clark, en prise avec sa propre mère, ancienne danseuse devenue stripteaseuse, dans une relation violemment sexuée. Leur histoire est, il est vrai, peu banale. En 1998, Leigh Ledare retrouve sa mère après plusieurs mois de rupture. Elle l’accueille, nue, un jeune amant couché sur son lit. Une manière de lui signifier : « Accepte-moi telle que je suis ou adieu bye bye ». L’artiste y puise son inspiration : « J’ai alors commencé à prendre des photographies en réaction au fait d’avoir assisté à cette situation. »
M’as-tu vu ? Episode 54 (François Baudot)
3 août 2010
The Johnson twins at Warhol’s Factory © Billy Name / NYT Company
Deux images, des jumeaux pour saluer la mort voulue de François Baudot, dont certains se souviendront de quelques livres, d’une amitié fidèle avec BHL, Arielle Dombasle ou Carla Bruni, qui lui valut d’être bombardé inspecteur général au ministère de la Culture, sans considération de ses titres universitaires. Parlons plutôt d’une noblesse d’état, lui qui brilla tour à tour auprès de Fabrice Emaer au Palace ou d’Anne-Marie Périer-Sardou au magazine Elle. Cette vie-là, mauvaise et belle, donne aussi une juste autobiographie « L’art d’être pauvre », parue quelques mois avant son suicide aux éditions Grasset. Contre mauvaise fortune, François Baudot fit bon cœur d’être le bon homme au meilleur endroit d’une vie entre le New York vibrionnant des années 60 et les lumières d’un Paris 70 – 80. Ces années-là, il les conte avec assez de distance pour que son livre soit attachant. On y croise ainsi Bambou, Philippe Krootchey, Pierre et Gilles, Paquita Paquin, Philippe Starck et nos deux jumeaux : Jay Johnson initiera François à la vie new-yorkaise, Jed Johnson étant plus proche d’Andy Warhol et presque taulier de la légendaire Factory. Le dernier, décorateur par la suite, périra dans l’accident d’avion de la TWA au large de New-York, le premier en reprendra la charge. François Baudot regarde ce monde bouillant comme un volcan, danse toute la nuit durant et n’en revient pas d’en être. La fascination devient sur le tard mélancolie. On en connaît désormais la fin. Malheureuse.
Jed and Jay Johnson © DR
François Baudot, L’art d’être pauvre, Grasset. En librairie.
L’ombre d’une jeune fille en fleur
3 août 2010Un film détonant, sortant au milieu de l’été, alors qu’on le dirait plutôt d’automne. Mystère de la distribution, sans doute. Au final, ne doutons pas que le film de Katell Quillévéré, prix Jean Vigo, puisse affronter tous les temps, par sa singularité et, partant, sa noirceur. Une jeune fille, un grand-père un pied dans la tombe, mais parfois encore vert, des parents qui se déchirent, un curé tourmenté, un petit gars à la moto et des premiers baisers. Une éducation sentimentale au coeur d’une Bretagne revêche et catholique, autant dire déréglée du côté des hormones et des sentiments, où tout explose pour que se libèrent enfin les sensations, la possibilité de vivre pleinement.
Un poison violent, un film de Katell Quillévéré, avec Lio, Michel Galabru, Thierry Neuvic (1h32). En salles.
Choses vues et appréciées en Avignon
1 août 2010
Gisèle Vienne, This is how you will disappear © DR
Quelques semaines plus tard, il y a peu à dire de cette dernière édition du festival d’Avignon. Sur la petite dizaine de spectacles vus, quelques visions restent encore, mais tout de même prévaut la sensation d’un certain ennui – et cela en faisant preuve d’une assez grande mansuétude pour toutes les recherches dans lesquelles se lancent les metteurs en scène et performers invités au festival d’Avignon. Mais, au-delà de la vision, de l’urgence du cri, de la révolte, de l’obsession ou du seul ricanement, il manque des mots, un langage, une puissance du verbe qui, allié à un talent de mise en scène ou en espace, fait le talent et permet l’adhésion du public. Il n’est pas question d’opposer l’un à l’autre, le verbe contre la vision et inversement, non, il est question de la puissance donnée à son regard. Et pas un spectacle n’a été formellement et verbalement à la hauteur de ce défi. Alors de cette longue route de théâtre, restent la première, l’énergie volcanique d’Angelica Lidell, découverte par beaucoup lors de ce festival, la modernité à journal intime ouvert de Falk Richter et Stanislas Nordey, l’énigmatique forêt et brouillard de Gisèle Vienne (This is how you will disappear), les gesticulations de Christoph Marthaler (Papperlapapp dans sa version raccourcie, après les critiques de la première semaine), la beauté de l’acteur Laurent Poitrenaux dans le tiède spectacle d’Olivier Cadiot (Un nid pour quoi faire ?) et l’hypnose répétitive (pour beaucoup lassante) de Jean Lambert-wild dans son étonnant cahier d’un retour au pays natal, ici l’île de la Réunion (La mort d’Adam). Le reste s’oubliera : la froideur de Cindy van Acker, le spectacle raté par trop de prétentions de l’aimable Christophe Huysman (L’orchestre perdu), le détestable et honteux spectacle de Faustin Linyekula, heureusement passé sous silence par la critique (Pour en finir avec Bérénice)…