Archive de la catégorie ‘Theatre’

Eloge de la beauté, exigence du texte

Mercredi 20 juillet 2011

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Laurent Poitrenaux © Frédéric Nauzyciel

Cris, hurlements, bêtises érigées en manifeste dramaturgique, le festival d’Avignon nous en aura donné à voir, de ces errements artistiques, portés par l’immodestie de faiseurs de bruits et d’images sans grand talent. On pourrait encore les soutenir, défendre l’art et l’essai au festival d’Avignon. Et puis, finalement, non, on n’en peut plus de ces spectacles sans queue ni tête, de ces ennuis à répétitions devant ces faux objets de théâtre sans considération pour le geste et la beauté, pour la compréhension et le partage avec le public dont la pire caricature aura été « Au moins j’aurai laissé un beau cadavre » de Vincent Macaigne qui se plaît à réinventer Shakespeare à sa propre et médiocre sauce.
De ce festival d’Avignon, on retiendra la beauté irradiante au petit matin de « Cesena », le spectacle d’Anne Teresa de Keersmaeker, associant les danseurs de la compagnie Rosas aux chanteurs (ars subtilior) de l’Ensemble graindelavoix de Björn Schmelzer et la profondeur maladroite mais tellement entêtante du « Jan Karski (mon nom est une fiction) » d’Arthur Nauzyciel d’après le roman de Yannick Haenel. Le reste, il s’oubliera…

Choses vues et appréciées en Avignon

Dimanche 1 août 2010

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Gisèle Vienne, This is how you will disappear © DR

Quelques semaines plus tard, il y a peu à dire de cette dernière édition du festival d’Avignon. Sur la petite dizaine de spectacles vus, quelques visions restent encore, mais tout de même prévaut la sensation d’un certain ennui – et cela en faisant preuve d’une assez grande mansuétude pour toutes les recherches dans lesquelles se lancent les metteurs en scène et performers invités au festival d’Avignon. Mais, au-delà de la vision, de l’urgence du cri, de la révolte, de l’obsession ou du seul ricanement, il manque des mots, un langage, une puissance du verbe qui, allié à un talent de mise en scène ou en espace, fait le talent et permet l’adhésion du public. Il n’est pas question d’opposer l’un à l’autre, le verbe contre la vision et inversement, non, il est question de la puissance donnée à son regard. Et pas un spectacle n’a été formellement et verbalement à la hauteur de ce défi. Alors de cette longue route de théâtre, restent la première, l’énergie volcanique d’Angelica Lidell, découverte par beaucoup lors de ce festival, la modernité à journal intime ouvert de Falk Richter et Stanislas Nordey, l’énigmatique forêt et brouillard de Gisèle Vienne (This is how you will disappear), les gesticulations de Christoph Marthaler (Papperlapapp dans sa version raccourcie, après les critiques de la première semaine), la beauté de l’acteur Laurent Poitrenaux dans le tiède spectacle d’Olivier Cadiot (Un nid pour quoi faire ?) et l’hypnose répétitive (pour beaucoup lassante) de Jean Lambert-wild dans son étonnant cahier d’un retour au pays natal, ici l’île de la Réunion (La mort d’Adam). Le reste s’oubliera : la froideur de Cindy van Acker, le spectacle raté par trop de prétentions de l’aimable Christophe Huysman (L’orchestre perdu), le détestable et honteux spectacle de Faustin Linyekula, heureusement passé sous silence par la critique (Pour en finir avec Bérénice)…

Bernard-Marie Koltès livré aux chiens

Vendredi 11 juin 2010

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Bernard-Marie Koltès © Louis Monnier

Il est bien difficile d’aimer le « Combat de nègre et de chiens » de Michel Thalheimer, quand c’est l’Afrique de Koltès qui vous accroche au coeur. Le metteur en scène allemand, adulé par les médias et groupies de l’ennuyeux Stéphane Braunschweig, en a gommé toute la substance pour transformer la pièce en puissant livret d’opéra germanique. On croirait Bayreuth, on est à la Colline, tentant de résister à l’assoupissement face à des comédiens hystériques, un chœur noir – drôle d’idée qu’il faille 10 comédiens noirs pour seconder la résistance brûlante d’un Alboury, alors que les autres personnages, dirigés à la caricature, s’en sortent seuls –. Dans un décor imposant, digne d’un vaisseau fantôme wagnerien, les comédiens crient, se masturbent, jouent prétentieux, oublient la volupté de la nuit africaine, creuset de l’inspiration de Koltès. On quitte le plateau, déçu de si peu de subtilité.

Combat de nègre et de chiens, ms Michel Thalheimer, Théâtre de la Colline, du 26 mai au 25 juin 2010.

Petits soleils de printemps à la Colline

Dimanche 30 mai 2010

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© Elisabeth Carecchio / Colline

L’éveil du printemps, d’après Frank Wedekind, mise en scène par Guillaume Vincent, avec Emilie Incerti Formentini, Matthieu Sampeur, Nicolas Maury, Théâtre de la Colline, jusqu’au 16 avril 2010.

Krzystof Warlikowski reprend son Tramway

Samedi 20 mars 2010

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Isabelle Huppert © Pascal Victor / ArtComArt

Certains ont abandonné avant même la représentation, assommés par les critiques hurlantes à l’ennui, au soir de la première. N’y allez pas ! Ca dure 3 heures ! On n’y comprend rien ! Isabelle Huppert vampirise une nouvelle fois de sa bêtise égocentrique ce spectacle au point qu’il n’y ait plus de tramway mais juste une Blanche DuBois à la dérive entre Tennessee Williams et des citations boursouflées de Sarah Kane ! Mais qui est ce polonais complètement malade ? On y va, goguenard, prêt à rajouter son couplet et dire tout le mal qu’on a déjà ici d’Isabelle Huppert la mal aimable. 2h45 plus tard, rien à dire, on applaudit ce spectacle beau et inspiré. On salue la performance du metteur en scène à raconter un monde, une femme et ses obsessions au travers d’un texte, de citations et de chansons comme une construction purement mentale, faite de multiples influences littéraires et musicales pour arriver à cerner cette irrégulière, Blanche DuBois. Le public, venu pour l’hallali, en est pour ses frais, alors il applaudit mollement. Il espérait une bataille d’Hernani, Warlikowski n’en leur en donne pas le loisir. Son talent est évidence. Il a repris son ouvrage, coupé une demi-heure de vociférations d’Isabelle Huppert pour être sur l’os. Bien sûr qu’on n’entend pas, comme au lycée, le « Tramway nommé désir » de Tennesse Williams, mais une variation hallucinée et engageante qui vaut toutes les intrigues bien ficelées. Un théâtre furieux et misanthrope qui vous court longtemps après…

Un tramway, mise en scène de Krzystof Warlikowski, traduction de Wajdi Mouawad, avec Andrzej Chyra, Florence Thomassin, Yann Collette.

Deux comédiens, seuls en scène

Jeudi 18 mars 2010

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Jonathan Capdevielle © DR

Il est des comédiens qui, le pied à peine posé sur le plateau, font comme partie de votre famille. Nicolas Bouchaud, depuis ses aventures rocambolesques avec Jean-François Sivadier, et Jonathan Capdevielle, plus récemment, sont de ceux-là. Deux bêtes de scène, deux forces timides. Le temps de sentir la salle, de tenir le public, et ils donnent tout et le meilleur d’eux-même. Jonathan Capdevielle fut ainsi porté en triomphe il y a quelques jours aux Antipodes de Brest, présentant « Adishatz », une performance chantée et bouleversante sur l’adolescence d’un garçon d’aujourd’hui. Il était pourtant bien tard dans cette nuit brestoise mais le public, secoué pour certains de rires trop veules pour ne pas masquer leur gêne, était à l’unisson de cette folie barbare et délicate. Quelques jours plus tard, à Toulouse, Nicolas Bouchaud, les mots dans ceux du critique ciné Serge Daney, partageait sa cinéphilie avec le public du Théâtre national. Fringuant, moqueur et heureux, parfois féroce avec le public, il emportait tout, John Wayne en fond d’écran n’avait qu’à bien se tenir.

Adishatz, une performance de Jonathan Capdevielle.
Showroomdummies, un spectacle d’Etienne Bideau-Rey et Gisèle Vienne.
La loi du marcheur, ms Eric Didry, avec Nicolas Bouchaud (En tournée en France)

Les cercles nocturnes de Joël Pommerat

Mercredi 3 mars 2010

Notre estime pour Joël Pommerat est grande. La singularité de sa recherche dans son théâtre d’ombres mérite qu’on passe vite sur les réserves que nous inspirent son nouveau spectacle « Cercles / Fictions » présenté le mois dernier dans un dispositif scénique bouleversant l’aménagement des Bouffes du Nord. Les spectateurs sont tout autour de la scène et se font miroir. Les comédiens, au milieu du cercle, dans la pénombre, raconte des histoires de quelques hommes et femmes en prise avec la guerre, l’économie, l’ambition dans une société humaine déclinante. Des histoires qui se mêlent les unes aux autres au risque d’une grande confusion. On se perd souvent dans cette pièce, on bute sur une piste qui soudain devient un non-sens. On s’épuise dans cet excès de noirceur, le jeu parfois trop subtil de lumière et de nocturne. On abandonne du regard ces comédiens dans une humilité de moyens et de gestes qui les rend d’une sobriété si sombre… Alors la pièce semble se jouer sans nous et nous laisser un peu en plan, loin de ce spectacle pourtant gracieux et porté par un texte d’une très belle beauté inquiète…

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Cercles / Frictions © Elisabeth Carecchio

Cercles / Fictions, texte et création de Joël Pommerat, en tournée française.

Théâtre 2009 : un grand festival d’automne !

Samedi 26 décembre 2009

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Versus de Rodrigo Garcia © DR

Quel automne de théâtre ! Quittant Avignon, on voyait la saison arriver pleine de figures imposées, de postures fièrement ennuyeuses et de répétitions à l’infini de faux scandales et véritables escroqueries de plateau. Rien, il n’en a rien été et le festival d’Automne a joué en maître une partition de découverte et d’enthousiasme qu’il faut franchement saluer.
Des bonheurs ? Simples comme la découverte du Wooster Group. La troupe new-yorkaise s’est emporté avec talent du Vieux Carré de Tennessee Williams et en a livré une version électrique, sombre et métaphorique qui annonce le grand retour du dramaturge du sud des Etats-Unis sur les scènes françaises puisqu’on attend pour février le Tramway de Warlikowski à l’Odéon avec Isabelle-Huppert-la-terreur… Saluons le talent de l’ami Robert Plagnol, qui a repris au Théâtre de la Commune (Aubervilliers) avec Benjamin Boyer ses brillantes adaptations d’Andrew Payne Synopsis / Squash. Du théâtre viril et très méchant.
Des confirmations ? Celle du letton Alvis Hermanis, découvert à l’occasion de la saison culturelle lettone en France, qui a inauguré le nouveau Silvia Montfort Théâtre avec une Sonia déjantée et cruelle. Le Nouveau Théâtre de Riga a de l’avenir, pas de doute ! Arthur Nauzyciel est brillantissime lorsqu’il délaisse la vieille Europe pour inventer à l’invitation des Américains des spectacles somptueux, sensibles et d’une intelligence rare. On se souvient à Avignon de son Koltès Black Battle with dogs, créé à Atlanta. Son Jules Caesar, présenté à Créteil dans le cadre du festival d’Automne, avait la même intensité. Retour, encore, de Rodrigo Garcia qui du festival Mettre en scène au TNB à Rennes (Muerte y reencarnacion en un Cow-boy) au Rond Point (Versus) a signé deux spectacles furieux et salvateurs sur nos états contemporains. Garcia revient à des mises en scène, plus sobres, mieux écrites, génie solitaire et vibrant misanthrope.
Des déceptions ? Le Merlin des Possédés, troupe amie et suivie avec intérêt qui pousse leur procédé à sa limite, maltraitant le mythe de la Table ronde et la quête du Graal, dans une débauche contemporaine éprouvante. La Paranoïa, par Marcial di Fonzo Bo, Elise Vigier, et leurs complices des Lucioles : un brouillard de 2h20, bizarre et pas vraiment décapant… La Cantatrice Chauve d’Eugène Ionesco, revue en 1991 par Jean-Luc Lagarce et reprise à l’Athénée : on s’enfuit au bout de vingt minutes devant du vieux théâtre absurde, vieilli et osons absolument rasoir ! Et terminons cette note par le fantomatique Steven Cohen, le performer sud-africain juché sur des stiletto en forme de crânes humains, a crucifié le Centre Pompidou quelques soirs de novembre avec son Golgotha, océan de tristesse et d’obsession personnelle, né du suicide de son frère : « Mon travail vise la fonction d’un speculum, non d’une suture, destiné à provoquer des questions plus qu’à fournir des réponses »…

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© Edward Mac Keaney

Sur quelques airs d’opérette parisienne

Vendredi 25 décembre 2009

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Philippe Découflé et les filles du Crazy © Crazy Horse

Une vie de cabaret, de cirque et d’opérette ! Loin des spectacles arty mainstream de cet hiver, dominés par une dépression et un ennui au long cours ; des spectacles du privé, ringards et vulgaires (Panique au ministère, on y reviendra), l’opérette et les musicals qui déferlent ces jours d’hiver ou de Noël sur les scènes françaises, se révèlent de belle facture. Commençons par LE temple d’une certaine nuit parisienne, l’illustre Crazy Horse que le chorégraphe et scénographe Philippe Decouflé revisite depuis quelques semaines… What’s new ? Pas grand chose si ce n’est un petit vent de liberté qui fait danser les girls « en cheveux ». Pour le reste, l’esprit « Bernardin » demeure, l’homme de « Sombreros » n’opère pas de révolution, modernisant à bon escient un corps de ballet « d’enfer », mais sans doute toujours orpheline d’un « patron ». Découflé aura été, le temps d’un été, un sympathique cousin d’Amérique, espiègle, malin. Rien de plus, soyons franc. D’ailleurs, il est déjà reparti. Vers Rennes pour de nouvelles aventures au Théâtre national de Bretagne, en tant que chorégraphe associé.
Chantons, dansons, jouons ! C’est sous cette bannière très agitée que se rassemblent les comédiens, chanteurs, musiciens – le tout à la fois – d’Alain Sachs pour une heureuse « Vie parisienne » au Théâtre Antoine. Offenbach y est servi avec justesse, malice et enthousiaste. Le public est conquis par cette modestie, qui fait entendre Offenbach, tout Offenbach et rien qu’Offenbach. On en redemande. Gardons le meilleur pour la fin. On avait découvert avec effroi la nouvelle programmation du Châtelet, cherchant sa distinction parisienne dans une discutable tentative d’installer Broadway près de la Seine. Et bien, il faut bien le saluer : Jean-Luc Choplin, son directeur, est en passe de gagner ce difficile pari. Sa « Mélodie du bonheur » au Châtelet est accomplie, excellente et professionnellement irréprochable. N’étaient le public de pépés et de mémés parisiennes, choucroutées et parfumées d’importance, accompagnés de leur petite progéniture – au prix des places, le spectacle ne s’offre pas à toutes les bourses ! – on se croirait sur Broadway ! « Que du bonheur !» titrait Eric Dahan il y a quelques jours dans Libération. On est bien d’accord.
Un dernier mot ? Oui, pardon, pour déconseiller « Pampa », le dernier spectacle du Cirque national Alexis Gruss au Bois de Bopulogne. Un vieux Gruss qui s’emmêle les chevaux, la génération suivante, virevoltante, mais bien lourde (sur les chevaux comme lors des navrants numéros de clowns), une Gipsy (la mémé) et ses chiens perdus sans collier ni talents et la dernière génération jonglant à l’avenant. Ca dure, ca dure, reste à sauver deux gamines au trapèze et un éléphant marrant. Qui ne trompe personne. Cela va de soi.

Vie privée au Théâtre Antoine (no trespassing)

Vendredi 2 octobre 2009

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Anne Brochet et Julien Boisselier © Théâtre Antoine

Ah que l’on s’est bien fait avoir ! La belle affiche : Anne Brochet et les garçons, Julien Boisselier au premier rang, François Vincentelli aussi. La belle pièce : l’adaptation pour la scène du film « Philadelphia story » de Cukor (1940). On est les premiers aux premières ! De l’élégance du film, il ne reste qu’un décor hollywoodien. On passe du noir et blanc au beige, sans pourtant y gagner au change. Le rideau se lève sur trois cruches qui s’essaient à la comédie à l’américaine. Elles n’ont aucun allant, sont raides comme des piquets, d’une mollesse coupable pour une comédie du « remariage » qui se voudrait endiablée. La pauvre Anne Brochet tient le pompom. Elle récite son texte avec une emphase aristocratique ridicule. Pas de quoi réveiller le fantôme de Katharine Hepburn ! Les garçons arrivent et avec eux, l’intrigue et le naufrage. Ces messieurs se prennent pour Cary Grant et James Stewart, avec des poses affectées qu’on ne saurait décrire sans être cruel. Y a plus qu’à tirer l’échelle, et prendre la poudre d’escampette, l’entracte sonné…

Vie privée, adaptation et mise en scène Pierre Laville, Théâtre Antoine.

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