N’en déplaise à certains, pointant avec talent un certain classicisme, l’édition 2008 des Rencontres internationales de la photographie d’Arles était un cru élégant. Dirigées par Christian Lacroix, elles offraient la part belle aux plaisirs esthétiques et à la diversité faisant se côtoyer pêle-mêle photographie vestimentaire et regards acérés sur le monde. Et comme, il est heureux de ne pas être un monolithe, nous pouvions naviguer de Françoise Huguier à Charles Fréger, passer ensuite de Patrick Swirc à John Demos, du caméléon Samuel Fosso à Richard Avedon ou Grégoire Korganow. Nous saluions au passage d’attrayantes Cocottes du siècle passé en oubliant quelques ennuyeux (Paolo Roversi, Guido Mocafico version nature très morte, Jean-Christian Bourcart sans intérêt) et fâcheux (Grégoire Alexandre, Georges Tony Stoll) pour ne retenir que le meilleur (Tim Walker, Pierre Gonnord, Pieter Hugo, Paul Facchetti).
Arles a la photographie au cœur : à preuve, ce projet grandiose de la Fondation Luma imaginé avec l’architecte Frank O. Gehry pour réhabiliter les anciens ateliers désertés par la SNCF en une immense cité de l’image rassemblant lieux culturels et commerciaux, espaces d’expositions et d’archives, le bureau et les ateliers des Rencontres d’Arles, les éditions Actes Sud, l’Ecole nationale supérieure de la photographie, un cinéma et une nouvelle gare ! Des voix se font déjà entendre contre le projet. Espérons que tous réussiront à s’entendre tant le projet a de l’ambition et un geste architectural peu commun à une ville dont beaucoup se demandent chaque printemps si elle réussira à sortir de son hibernage – c’est que c’est triste, Arles, l’hiver, par temps gris, de pluie ou de violent mistral !
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Archive de la catégorie ‘Photographie’
Arles, idéale cité de la photographie
Mardi 15 juillet 2008Richard Avedon, portraitiste
Dimanche 13 juillet 2008« Peu importe comment je me vois mais il est certain que je me considère comme un portraitiste » Richard Avedon
Tom Stroud, Red Owens, Roberto Lopez, Clarence Lippard, Boyd Fortin, Patricia Wilde, Jay Greene, Leonard Ray Blanchard, Peggy Daniels, Juan Patricio Lobato, David Beason, Robert Dixon… Leurs noms ne vous disent absolument rien et cela est tout à fait normal. Au côté de mille célébrités – Charles Chaplin, Marguerite Duras, Björk, Alberto Giacometti, Truman Capote, Andy Warhol et sa factory, Igor Stravinsky, John Galliano – et autres modèles de mode anciens, ils forment la cohorte des gens de peine et de peu de l’Ouest américain photographiés par le célèbre Richard Avedon dont le Jeu de Paume propose aujourd’hui une intéressante rétrospective.
Tout au long de cette exposition, formée de deux grands ensembles, l’un en ouverture et clôture, consacré aux travaux de mode et de mondanités culturelles bien connus, l’autre, à l’étage, dédié à la série « In the american west » développé au début des années 80, court une interrogation sur la perception de l’œuvre du photographe mort en 2004. Loin des mirages de Sunset Boulevard et de la 5e Avenue, la part « documentaire » de son travail semble la plus brillante.
Ils sont grutiers, gouvernante, minier, forain, propriétaire de ranch, cette part de la réalité américaine « profonde », Richard Avedon lui donne le meilleur de lui-même et de sa technique : grand format pour des petits destins, fond blanc ou gris pour libérer les traits et les attitudes sans être perturbé par d’éventuelles mises en scène, expression brute des regards mais souci précis de l’éclairage pour outrer la condition… Les images sont belles et fortes, les poses faussement naturelles. Au milieu de ces portraits, Richard Avedon ose un autoportrait. Lui, aussi, vient de ce terroir. Comme l’aveu, défait, d’un regard sur le monde beaucoup plus impliqué que celui passé à illustrer les pages de Vogue, Egoïste et Harper’s bazaar. Une dépression carabinée, une crise d’identité salutaire au milieu des falbalas et des lumières de cocktail. Salutaire et envoûtant.
Autoportrait, 1980 © The Richard Avedon Foundation.
Richard Avedon, Photographies 1946 – 2004, Jeu de Paume, Paris, jusqu’au 29 septembre.
Wolfgang Tillmans, dieu en ténèbres
Samedi 12 juillet 2008
Photocopy, 1994 © Wolfgang Tillmans, Courtesy Galerie Daniel Buchholz, Köln
Wolfgang Tillmans est de retour ! Sans conteste l’un des plus grands photographes européens, il a reçu le prestigieux Turner Prize britannique en 2000, « documentant » le mieux notre époque contemporaine dans ses marges et ses engagements. Il expose cet été à Berlin. Nous y reviendrons. Une belle image de cette rétrospective exceptionnelle en attendant.
Lighter, Wolfgang Tillmans, Hamburger Bahnof, Berlin, jusqu’au 24 août.
Annie Leibovitz : ce que la vie doit à la mort
Samedi 28 juin 2008
Mon frère et mon père, Silver Spring, Maryland, 1988 © Annie Leibovitz
Sortir en paix comme réconcilié d’une exposition est un plaisir rare. Deux ans après la publication d’ »Une vie de photographe » (La Martinière), la photographe américaine Annie Leibovitz expose quinze années de travail professionnel et autant d’images de famille dans un accrochage qu’elle a intégralement supervisé à la Maison européenne de la photographie à Paris – dans une ville qui lui est chère puisqu’elle y a longtemps partagé un appartement, l’ancien atelier de Picasso quai des grands Augustins, avec sa compagne Susan Sontag, morte d’un cancer en décembre 2004 à New-York.
Connue pour ses photographies de personnalités politiques (Bill Clinton, Georges Bush Jr, Elisabeth II) et de stars hollywoodiennes pour les magazines Vanity Fair et Rolling Stone, Annie Leibovitz, offre ici un autre regard sur sa vie de photographe qui se mêle avec intensité à sa vie de femme, de fille, de mère, de soeur. Une femme pressée qui se mobilise, sur les pas de Susan Sontag, pour le Rwanda, la Bosnie-Herzégovine, voyage avec elle en Europe ou en Jordanie, fait des enfants et se soucie de la santé des siens qui bientôt disparaissent et qu’elle photographie jusqu’au dernier souffle. Non, n’allez pas dire cela est encore morbide et qu’il serait préférable que Leibovitz se consacre exclusivement à Brad Pitt, Johnny Depp et Scarlett Johansson. C’est précisément en ne détournant pas les yeux de ce que la vie doit à la mort que la photographe traverse le temps, les deuils, témoigne de son appétit de vie, de sa liberté et de son véritable talent.
Annie Leibovitz, une vie de photographe, Maison européenne de la photographie, Paris, jusqu’au 14 septembre 2008.
Lehaïm Israël
Mercredi 30 avril 2008
Cain et Abel, 2006 © Adi Nes / Galerie Praz-Delavallade.
Préparation de ce voyage tant attendu en Israël, malgré la pression des festivals à préparer. Ce sera du 18 au 25 juin. Le billet en poche, je lis, je visionne, vais d’exposition en exposition. Des jalons déjà : bien sûr, les films d »Amos Gitaï (« Kippour »), ceux d’Eytan Fox (« Tu marcheras sur l’eau », « The bubble ») et la petite merveille de « Méduses » du couple Keret. Les chansons d’Ivri Lider, les klezmer à la clarinette de Goran Feidman. Et des photographies, celles bibliques d’Adi Nes vues à la galerie Praz-Delavallade, celles encore de Barry Frydlender au Musée d’art et d’histoire du judaïsme : le monde Israël en pleine vie sans rien négliger de ses contradictions : juifs traditionalistes en réunion, amis en méli-mélo sur le canapé du salon, piscine d’hôtel 4 étoiles avec vue sur un cimetière, dernière manifestation pour la paix, Tel-Aviv sous le déluge, Tel-Aviv insouciante et moderne à la plage, le café Bialik avant et après l’horreur des attentats suicides…
Présent composé, Barry Frydlender, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, jusqu’au 25 mai 2008.
Passage de la mort
Mercredi 30 avril 2008Cette image a paru la semaine dernière dans un reportage de l’hebdomadaire « Le Monde 2″ consacré à l’exposition « Controverses » au Musée de l’Elysée à Lausanne (Suisse). Depuis, alors que partout dans le monde, on serait à deux doigts de crier de nouveau famine, où les plus pauvres d’Haïti se nourrissent de galettes de terre, cette photographie me hante.
Cette image, une des plus tristes de l’histoire de la photographie, a été prise par Kevin Carter, jeune reporter sud-africain de 33 ans au Soudan en 1993. La famine frappe le pays et la petite fille tente de rejoindre un centre d’alimentation. Déjà un charognard est prêt à se saisir de son cadavre. Après avoir pris ce cliché, le photographe éloigne l’oiseau et s’en va, en pleurs, laissant l’enfant épuisé à son sort. La photographie, publiée le 26 mars dans le « New York Times », suscite un émoi considérable parmi les lecteurs du journal qui s’enquièrent du destin de la fillette et s’indignent de l’attitude supposée du photographe traité par beaucoup de « vautour ». Quelques mois plus tard, après avoir reçu pour cette image le prix Pulitzer, Kevin Carter se suicide. Il a ses derniers mots : « Je suis hanté par ces souvenirs persistants de massacres, de cadavres, de haine, de souffrance… d’enfants affamés ou blessés, de tireurs exaltés… »
« Controverses, une histoire juridique et éthique de la photographie », Musée de l’Elysée, Lausanne, jusqu’au 1er juin 2008.
Les passants de Saul Leiter
Mercredi 30 avril 2008Il fallait s’armer de patience et accessoirement d’un parapluie pour découvrir, au dernier jour, l’exposition de Saul Leiter dans l’exiguë Fondation Henri Cartier-Bresson de l’impasse Lebouis à Paris. Passée la pluie, supportée la foule, l’exposition comme le Photo Poche « Saul Leiter » des Editions Actes Sud rendent justice au photographe, né à Pittsburgh (Pennsylvanie) en 1923. Dès 1935, grâce à un cadeau de sa mère, il se lance dans la photographie et dans la peinture qu’il continue de pratiquer aujourd’hui à New-York après une longue carrière, jalonnée par des travaux pour les magazines Life, Esquire, Harper’s Bazaar, Vogue, Elle, US Camera, et par l’amitié de W. Eugene Smith et d’Edward Steichen.
Ses photographies ? Une mélange de belles manières noires et blanches ou couleurs, prises dans l’instantané d’une rue ou au travers d’une vitre dans le respect de la vie qui va et vient, à la mesure du quotidien de quelques clients attablés au Flore ou de passants sous la neige. Les images, impressionnantes et frêles, d’un grand homme timide, qui refuse de brusquer le monde extérieur et témoigne de la marche du temps…
Ce profond ennui qui nous vient d’Alec Soth
Mercredi 30 avril 2008
© Alec Soth / Magnum photos.
Il y avait foule – chic et snob, enroulée dans des écharpes Dries Van Noten, le regard caché derrière les dernières Persol® – au vernissage cumulé des expositions du famous Alec Soth et de la délicieuse Valérie Mréjen au jeu de Paume. Du premier, parmi les derniers photographes actuels à rejoindre la très sélective agence Magnum, la rumeur, après son « Fashion magazine » de l’automne 2007, annonçait une exposition de premier plan ; de la seconde, on lisait les livres (précipitez sur ses récits (Eau sauvage, Mon grand-père) aux Editions Allia, jusqu’au dernier « Pork and Milk, consacré aux juifs orthodoxes en rupture de ban) et suivait le travail avec un intérêt grandissant. Bilan du match : Mréjen : 3 / Soth : 0. Là où la plasticienne française vous entraîne dans son quotidien rempli d’obsessions intellectuelles et originelles, l’oeil ultra-distancié d’Alec Soth congèle les émotions. Est-ce la conséquence d’un accrochage malheureux ? Les photographies d’Alec Soth ne trouvent dans cette exposition aucun relief, accumulation de scènes d’une humanité triste à pleurer, ennuyeuse au point de passer d’une photographie l’autre sans la moindre étincelle.
La place de la Concorde, Valérie Mréjen ; L’espace entre nous, Alec Soth, Jeu de Paume (Site Concorde), jusqu’au 15 juin 2008
Pour saluer Edouard Levé
Lundi 24 mars 2008
La Blessure (série Transferts), Edouard Levé, 2004 © Galerie Loevenbruck
Il était à coup sûr l’un des photographes les plus intéressants de sa génération, doublé d’un écrivain et d’un plasticien doué. Il s’est donné la mort en janvier dernier, laissant quelques jours plus tôt un livre nommé « Suicide » à son éditeur, POL. Cette mort voulue, j’allais dire orchestrée, a sans doute à voir avec une infinie tristesse à vivre, mais la manière de signer ce geste témoigne d’une exigence désespérée qui nous fera longtemps regretter le plaisir de ne plus être transporté par les nouvelles créations d’Edouard Levé. Ses amis de la galerie Loevenbruck lui rendent ces jours-ci hommage en proposant une rétrospective, semaine après semaine, de ses principales séries (Quotidien, Pornographie, Homonymes, Fictions). Il faut s’y précipiter et découvrir avec respect ce talent rongé par ses propres « Angoisse »…
Hommage à Edouard Levé, Galerie Loevenbruck, jusqu’au 10 mai 2008.
Tête freundienne
Samedi 23 février 2008Milan est ainsi faite. C’est au moment où vous vous y attendez le moins que vous tombez sur une belle exposition de photographies. Les portraits de Gisèle Freund. Au deuxième étage du très hype 10 Corso Como où la plus belle élégance milanaise se rêve en Colette du faubourg Saint-Honoré, la Galleria Carla Sozzani expose les photographies d’un autre temps de Gisèle Freund. La photographe du premier portrait officiel de Président Mitterrand (1908 – 2000), a saisi son siècle de littérature, mais aussi de politique et plus généralement de culture. On rencontre parmi une centaine d’artistes et auteurs d’avant et d’après-guerre, Bonnard et Matisse affairés à leur palette, Eva Peron en pleine mythification, faisant miroiter son pouvoir dans ses bagues de pierres précieuses, le duo Sartre-Beauvoir, de Gaulle-Malraux, Beckett, Yourcenar, Duras, Walter Benjamin, Gide, Cocteau bien sûr, mais Frida Kahlo, Diego Rivera et des écrivains dont on imaginerait presque qu’ils n’ont pas connu la photographie : T.S. Eliot, Virginia Woolf, Julio Cortazar. Au milieu de ce siècle, un éternel jeune homme intrépide, cheveux au vent, clope au bec. Ce portrait, c’est Malraux. Immortellement.
André Malraux © Gisèle Freund
Galleria Carla Sozzani, 10 corso Como, Milano.