Jacques de Bascher de Beaumarchais © DR
Jacques de Bascher, rajouter de Beaumarchais pour le faire sourire dans sa tombe. De lui, on ne savait que très peu de choses. Son portrait « allongé » par David Hockney, quelques photographies du jeune homme à la fine moustache au côté de Karl Lagerfeld, comme une carte du Tendre impossible à déchiffrer dans le miroir complaisant que tend Rodolphe Marconi au styliste allemand dans son « Lagerfeld Confidential ». Rien de plus, au point de se demander si le garçon a réellement existé, sa mort précoce en 1988 des suites du sida le faisant disparaître d’un seul coup de toutes les mémoires… Malgré les procès et les tentatives de censure, la journaliste Alice Drake nous fait découvrir le dandy, compagnon de longue route de Karl Lagerfeld et épisodique béguin d’Yves Saint Laurent dans « Beautiful people », document paru chez Denoël à l’automne 2008.
De la fin des années 50 aux adieux d’Yves Saint Laurent à la mode en 2002, son récit maladroit parfois mais documenté ressuscite l’atmosphère d’un Paris survolté, où se croisent ces enfants d’après-guerre devenus enfants terribles des années 70, pleines d’alcool, de drogues, de sexe et de fric avant qu’overdose, sida et dépression ne viennent terrasser les plus fragiles d’entre eux au milieu des années 80. Au centre de la photo : Karl Lagerfeld, Yves Saint Laurent, Pierre Bergé, Victoire Doutreleau, Betty et François Catroux, Paloma Picasso, Diane de Beauvau-Craon, Fabrice Emaer, Loulou de la Falaise et quelques autres, artistes, mannequins, créateurs dont Andy Warhol, Kenzo, David Hockney, les richissimes Marie-Hélène de Rothschild ou Hélène Rochas… Et, bien sûr, fascinant filles et garçons de son âge, Jacques de Bascher, chouan de fortune, fils de famille à particule et modeste château, homme du monde et de noblesse, cocaïnomane et noceur invétéré qui fera pour cette étincelante bande d’irréguliers des nuits plus belles que chacun de leurs jours. « Jacques de Bascher jeune, c’était le diable fait homme avec une tête de Garbo. Il avait un chic absolu. Il s’habillait comme personne, avant tout le monde. C’est la personne qui m’amusait le plus, il était mon opposé. Il était aussi impossible, odieux. Il était parfait. Il a inspiré des jalousies effroyables. Ce n’est pas ma faute si Yves est tombé amoureux de lui ! » (1). Une vie comme on n’en pourrait plus, facilitée par les largesses d’un Lagerfeld multipliant de jour comme de nuit les collaborations de Chloé à Fendi en passant par d’obscurs contrats allemands pendant que MM. Saint Laurent et Bergé bâtissent leur empire, enfermant année après année le haut couturier dans sa tour d’ivoire de solitude proustienne et d’excès de tous genres. Portraits de solitaires en groupe, figure d’une époque révolue dont seul l’astre de Karl Lagerfeld – à la manière d’une étoile morte – continue de briller au firmament d’un métier dont il dit qu’il est « éphémère, dangereux et injuste ». Tous y ont laissé des plumes, leurs vies. Alicia Drake le raconte avec précision et perspicacité, faisant de Jacques de Bascher le symbole de ce monde en larmes.
(1). Interview de Karl Lagerfeld, Elle, octobre 2008.
A table, à la Coupole, avec Karl © DR