»Un autre sentiment, encore le sentiment que j’avais énormément travaillé. En 10 ou 12 ans, j’ai écrit une douzaine de pièces et j’ai fait dix-huit mises en scène et les deux films vidéo et tout ce travail, cette masse de chose me paraît n’être rien, n’avoir rien donné de bien bon, de nécessaire qui puisse me survivre, alors que les autres, le Monde semble avoir entendu, vu et commence peu à peu à le percevoir comme une masse (pour les autres, je suis un uteur, je suis un metteur en scène et moi, je suis juste un corps malade, une personne qui a raté sa vie)… Toujours la même histoire ne pas être vu comme on croit être. »
Jean-Luc Lagarce
Vendredi dernier, on vendait les dernières reliques d’Hervé Guibert à l’encan. Sous le marteau de Me Binoche, des quantités de portraits d’enfants par Henri Heraut, une petite mais célèbre marine d’Aïvazovski, des affiches de « Théorème », de Zouc et d’autres passions passées d’Hervé Guibert… Je n’y étais pas, préférant la compagnie des toros bravos des arènes d’Arles à celle des derniers de Drouot. Prévenu par Christine Guibert, mais déjà détenteur du « Kafka » en pléiade de Guibert, vendu une centaine d’euros lors de la première vente organisée en janvier 2002, je m’en tenais à cet unique témoignage d’admiration, sans doute un peu agacé de la première foire d’empoigne qui voyait ses « amis » s’emparer des pépites de sa collection pour quelques centaines d’euros, alors que certains savaient bien, par exemple, qu’une photographie de Duane Michals valait beaucoup plus… De jolis souvenirs, tout de même, celui du discret Mathieu Pieyre et de Sophie Calle désormais propriétaire du fameux singe vert empaillé vu sur les photographies et dans le film « La pudeur ou l’impudeur »…
Alors pourquoi cette mauvaise humeur ? Tout simplement parce qu’au moment où l’on brade Hervé Guibert, on célèbre avec talent et intelligence Jean-Luc Lagarce. Entrée au répertoire de la Comédie française et mises en scène de la plupart de ses textes, suivies de tournée aux dates multiples, biographie de l’ancien journaliste de Libération Jean-Pierre Thibaudat, colloque de haute volée à Besançon, témoignages nourris et généreux de ses proches, rassemblés pour que vive longtemps l’œuvre d’un homme, lui aussi subjugué par le talent de Guibert…
Dernière preuve de cet engagement collectif au service de sa postérité, le spectacle « Ebauche d’un portrait » au Théâtre Ouvert, tiré par François Berreur de ses cahiers intimes, publiés aux Solitaires intempestifs. Porté par la grâce du comédien Laurent Poitrenaux, cette pièce clôt magnifiquement cette formidable « année Lagarce » et fait définitivement de lui l’un des nos grands auteurs contemporains. Par comparaison, Hervé Guibert continue de faire tristement figure d’écrivain maudit sans que cela ne puisse être considéré comme un avantage. Projet de coffret sonore du journaliste Vincent Josse, associant Jean-Louis Trintignant, Juliette Gréco, Anouk Grinberg et Dominique A avorté faute de soutiens, nouveau report de la parution des « Articles intrépides », désormais annoncé pour la rentrée de septembre, publications universitaires à l’avenant n’offrant aucune perspective « grand public », comment ne pas enrager devant un tel gâchis ?
Ebauche d’un portrait, par François Berreur, Théâtre ouvert, Paris, jusqu’au 1er avril 2008