Archive de la catégorie ‘Culture’

Courbet : le dernier mot de la lumière

Lundi 21 janvier 2008

courbetlhommebless.jpg
L’homme blessé, 1854 © Gustave Courbet

« Dans cette fourmilière de tartines banales ou prétentieuses qui encombrent le Salon, le peintre d’Ornans donne son coup de trique et l’on respire devant ces deux toiles : un petit « Paysage » qui est une perle et un « Mendiant d’Ornans » qui est le dernier mot de la lumière. Continuez ainsi chaque année, bon maître, et que ceux qui sont nés peintres vous suivent, car vous êtes bien loin devant, vous qui voyez juste… » A la manière de cette caricature figurant à la toute fin de l’exposition Courbet au Grand Palais, longtemps que nous n’avions pas vu une exposition aussi captivante !
Mariant les thèmes à la chronologie, on suit le parcours d’exception de l’enfant gâté de Franche-Comté. Des débuts en maestria (« Le sentiment du jeune âge », 1844), où ses autoportraits (au violoncelle, à la ceinture de cuir, au chien noir, « Le Désespéré ») et ses portraits d’amis et d’hommes en ténèbres (« L’homme blessé ») le distinguent déjà du tout-venant, jusqu’aux natures mortes et « Truites de la Loue » de l’homme brisé par l’emprisonnement à Sainte-Pélagie pour son engagement auprès des Communards, Gustave Courbet est un peintre engagé.
Ses toiles-manifestes (« Un enterrement à Ornans », « L’Atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique ») revendiquent, dit-il, un « art vivant » à même de « traduire les mœurs, les idées, l’aspect de mon époque selon mon appréciation ». Avec subtilité, l’exposition rapproche les tableaux de Courbet des sujets de la photographie naissante (Cuvelier, Narda). Le temps de l’excellence et de la plus grande incandescence créatrice.
Avec les années, Courbet perd de sa singularité, s’arrondit, devient peintre de paysages réinventés pour sa propre géographie « intime », puis d’une indécise tentation moderne et mondaine d’où surnage le très beau « Jo la belle Irlandaise (1866). La chasse, la politique et les femmes l’occupent désormais plus que ses amis ou sa famille. Elles sont nues, baigneuses callipyges, formes pleines et seins lourds, libérées (La femme au perroquet, 1866), saisies en extase saphique ou à l’origine du monde… Gustave Courbet meurt en 1877, réduit à l’exil après la destruction de la Colonne Vendôme, épuisé par ses combats républicains. Quelques années plus tôt, sa sœur, Zoé Reverdy, confiait : « Tous les sujets sont autant de portraits »…

Galeries nationales du Grand Palais

L’ordre des choses : une Bruxelles de mikado

Lundi 21 janvier 2008

blogdesign122.jpg
Cityscape, by Arno Quinze © Thierry Van Dort

De fashion en travel magazine, toujours la tentation, au moment des soldes, de Londres, Milan ou Berlin. Cette année, je vais à Bruxelles ! Direction le quartier Sainte-Catherine, autour de la rue Antoine Dansaert : petites rues charmantes et places au clocher, on trouve vite son bonheur entre Filippa K, Olivier Strelli et pour ceux que cela tente, des friperies customisées comme le hypissime Colette du faubourg Saint-Honoré. Une boutique retient notre attention : Stijl, royaume de la mode belge : on y trouve les dernières créations de Dries Van Noten, Kriss van Assche à des prix intéressants. A Bruxelles, même sous la pluie et le gris de la ville, des galeries royales à la librairie Tropismes, de la grand place au quartier gay autour de la rue du Marché-au-charbon, il règne une douce atmosphère de grande petite ville européenne, ouverte, moderne et sans complexe. A peine plus loin, il faut découvrir, avenue Louise, l’installation d’Arno Quinze, « Cityscape » une sculpture monumentale (18 m de hauteur) de bois entremêlés, comme un immense nuage – mixado sous lequel s’amusent les rayons du soleil. Elle est présentée pour un an dans le cadre des événements de « Design Septembre 2007 », avec le mécénat intelligent de la firme automobile Mini. Courez-y !

Le site de Cityscape
Boutique Stijl

Tonnerre de Bartabas !

Jeudi 10 janvier 2008

Après les colonnes de Buren, une autre polémique, preuve que les questions culturelles en France sont prégnantes, rebondit avec l’intervention d’Alain Finkielkraut ce matin sur France Inter. Après le saccage du bureau du directeur de la DRAC Ile de France et sa nuit au poste, le taiseux Bartabas réclame des excuses de la ministre de la culture dans une lettre ouverte, complaisamment publiée dans le Nouvel Observateur par son ami cavalier Jérôme Garcin.
Si Alain Finkielkraut n’a de cesse de nous exaspérer chaque samedi sur France Culture, sa position sur « l’incivilité » de Bartabas est juste. Si nous nous mettions tous à détruire le Mobilier national, à mesure que les agents d’un Etat culturel appauvri nous annoncent des réductions budgétaires, il ne restera bientôt plus rien de la splendeur mobilière passée de la France, ni des commandes publiques de chaises et bureaux design qui peuplent nos institutions !
Ce coup de sang illégitime vient une nouvelle fois rappeler que la politique culturelle française est en panne depuis une décennie et que se ressentent aujourd’hui les effets d’une régulière absence de courage politique pour dire la vérité aux « gens de culture », premiers responsables de l’échec de la démocratisation culturelle. Incapables d’être eux-mêmes et dans un mouvement collectif les artisans de leur nécessaire transformation. Voyons le temps qu’il a fallu pour ne rien décider sur la question de l’intermittence du spectacle.
Non, tout n’est pas culturel. Tout ne mérite automatiquement un financement de l’Etat. Un ministère de la culture, digne de ce nom, devrait être à la pointe de cette évaluation (stimuler les structures établies pour qu’elles ne sclérosent pas, s’ouvrent à de nouvelles perspectives, tout en permettant aux nouveaux entrants de se faire une place) et aider les acteurs culturels, par des conseils d’experts et de professionnels aguerris plus que par le saupoudrage de subventions, à trouver leur bon interlocuteur. Et arrêter d’en appeler, comme des cabris, à la recherche de mécènes privés, dont la frilosité en France est considérable et l’intérêt porte principalement sur le patrimoine… Ces fameuses chaises que Bartabas a fracassé contre les représentants de l’institution !

bartabas.jpg
© Académie du spectacle équestre

www.franceinter.com
Lettre ouverte de Bartabas dans Le nouvel Observateur

Le patrimoine Buren

Dimanche 6 janvier 2008

Retour en France. Dans l’avion, je lis une interview de Daniel Buren dans Le Monde. La polémique sur la restauration (ou la destruction, qui sait ?) des « Deux plateaux », installé près des jardins du Palais Royal et de la Comédie française, sous les fenêtres de la ministre et de son cabinet, autrement appelé « Colonnes de Buren », n’en finit pas. Elle est née d’un déjeuner avec Daniel Buren, chroniqué par Olivier Schmitt en dernière page du « Monde 2 ». Preuve que rien n’est cicatrisé, des hurlements d’origine : ces fameuses colonnes déchaînent encore les passions réactionnaires. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le courrier des lecteurs du Figaro. Haro sur les années Lang, les commandes publiques et les dégénérés de l’art contemporain…
Honte surtout à ces gouvernements successifs et autres municipalités incapables de tenir leurs engagements « artistiques ». Pied de nez délicieux, enfin que d’imaginer que l’œuvre de Buren fait désormais partie du patrimoine français et qu’il faut veiller comme pour le Louvre ou la basilique de Saint-Denis à son bon entretien !

burendiagonal.jpg
Les deux plateaux, Daniel Buren © DR

Jean-Claude Ellena : l’homme de Cabris

Vendredi 4 janvier 2008

Par la magie du podcast, j’écoute dans la nuit froide d’Helsinki, Jean-Claude Ellena, au micro d’Yves Calvi. Reclus dans sa maison-atelier-jardin de Cabris (Alpes maritimes), l’homme est « compositeur de fragrances » pour Hermès. Son talent se cache derrière les créations récentes de la maison – qu’il s’agisse des parfums largement diffusés (Terre, Jardins de Méditerranée, Jardins du Nil) ou de ses créations personnelles (la collection Hermessence dont le subtil Poivre Samarkande) que l’on trouve exclusivement en boutique.
Mieux qu’un « nez », cet homme est un alchimiste, doublé d’un passeur. Il dit les senteurs, crée des parfums, comme certains rêvent des histoires, écrivent des romans. A la suite de l’exigeant Edmond Roudnitska (créateur d’Eau Sauvage, de l’Eau fraîche de Dior, de l’Eau d’Hermès, des classieux Diorissimo, Diorella), il cherche la note juste « en associant des matériaux d’origine végétale… Cela ne m’intéresse pas de dupliquer la nature, je cherche à en donner ma vision. Le parfum est un mensonge qui dit la vérité. »
Sa démarche unique, parallèle à celle de quelques-uns comme Serge Lutens, Frédéric Malle et ses amis des Editions de parfums, les new-Yorkais du Labo ou les très branchés de l’ »Etat libre d’Orange », est à découvrir dans un « Que sais-je ? » pour « pénétrer les coulisses de mon travail, celui de pilleur, de voleur, de maraudeur d’odeurs ».

jeanclaudeellena.jpg
Jean-Claude Ellena @ DR

Le parfum, Jean-Claude Ellena, Que sais-je, PUF, 2007

www.editionsdeparfums.com
www.art-et-parfum.com
www.lelabofragrances.com
www.etatlibredorange.com
www.salons-shiseido.com

Portraits d’Ellis Island

Jeudi 27 décembre 2007

Ellis Island, cette petite île à l’entrée du port de New York. A quelques encablures de la Statue de la Liberté. Qui n’a pas visité ces bâtiments désormais fantômes, ces salles immenses mais aujourd’hui vides, ne peut, à mon sens, comprendre l’Amérique. Il y résonne encore les voix des migrants, épuisés par d’innombrables semaines de voyage. Pour ceux qui arrivèrent jusque là, entre 1892 et 1954, c’était l’épreuve de la dernière étape : les examens médicaux et administratifs pour valider leur entrée sur le territoire américain. Dans la foulée, la naturalisation. American citizen !
La Cité nationale de l’histoire de l’immigration accueille jusqu’au 13 janvier 2008 une exposition des portraits du photographe Augustus Frederick Sherman. Une occasion unique de découvrir ces clichés qui, d’ordinaire, ne quittent pas le musée d’Ellis Island. Des portraits, pris entre 1905 à 1920, d’hommes, de femmes, d’enfants, de famille, venus de Russie, de Hollande et même de Guadeloupe, se frotter au rêve américain, porteurs d’une idéale espérance…

itemimgbig809frfamillegarcon.jpg
© Courtesy the Statue of Liberty National Monument, the Ellis Island Immigration Museum, and the Aperture Foundation.

Cité nationale de l’histoire de l’immigration : www.histoire-immigration.fr
Récits d’Ellis Island. Histoires d’errance et d’espoir de Georges Perec (en collaboration avec Robert Bober). POL / INA
Golden Door, un film d’Emmanuele Crialese, 2007 (en DVD)

La belle Tour de Babel

Jeudi 27 décembre 2007

denisdarzacq1.jpg
© La chute, Denis Darzacq.

On pénètre, intrigué, dans l’ancien temple des colonies d’outre-mer, entièrement restauré par les architectes Patrick Bouchain et Loïc Julienne. Accueilli par ce fameux bas relief d’Alfred Janniot, illustrant par la pierre l’apport des colonies à la prospérité française. Le Palais de la Porte Dorée, rare vestige de l’Exposition coloniale Internationale de 1931, est devenu, par les voeux tiers-mondistes de Président Jacques Chirac, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Inaugurée en catimini au lendemain de la création du Ministère de l’Identité nationale, cette Cité est pourtant une belle réussite et, par ces temps de rupture et d’inventaire, l’une des plus belles initiatives culturelles de Jacques Chirac, épaulé par son fidèle Jacques Toubon.
Faut-il y voir aussi la fin d’une époque – celle d’un gaullisme décolonisateur, puis d’un mitterrandisme assimilateur, capable de défendre l’idée d’une immigration nécessaire pour le développement national ? A parcourir, passionné, les vitrines de chacune de ces histoires en passe de devenir françaises, on mesure à quel point la conscience d’un universalisme français s’est éteint, laissant la place à un repli de plus en plus palpable de la majorité des Français sur eux-mêmes. Quel pauvre mythe que celui d’une seule immigration « choisie » défendue par l’enfant d’immigré hongrois Nicolas Sarkozy !
Au-delà des archives (objets, journaux, photographies de Jean-Philippe Charbonnier ou de Janine Niepce), la remarquable exposition permanente « Repères » vaut aussi par la part belle qu’elle offre aux artistes contemporains (Kader Attia, Denis Darzacq, Barthélémy Toguo, Hamid Debarrah, Malte Martin). Sortant de cette Cité ouverte comme la plus belle des tours de Babel, un vieil monsieur asiatique se réjouit : « ah, c’était vraiment bien ! « .

Cité nationale de l’histoire de l’immigration : www.histoire-immigration.fr

Relax, relax, relaxez-vous

Jeudi 27 décembre 2007

lr18.jpg
Line Renaud © Site officiel / DR.

Elle a beau être ultrachiraquienne, pilier d’un réseau d’amies stupéfiantes qui court de Michèle Laroque, à Liane Foly en passant par Claude Chirac et Muriel Robin, à revoir le portrait très documenté de Philippe Kohly retraçant les grandes heures de sa carrière et de ses engagements, difficile de ne pas saluer le talent de Line Renaud… Les capitales du monde entier défilent, les escaliers de music-hall, les revues à Las Vegas, la cabale d’Edith Piaf, les amis américains (Cary Grant, Dean Martin, Gregory Peck, Elvis Presley), sa manière de s’effacer ensuite pour laisser la place aux yéyés, puis le cinéma (formidable dans « J’ai pas sommeil » de Claire Denis) et encore la télévision : quelle vie ! Line Renaud, rire fracassant, la larme prompte à l’oeil, demeure, à près de 80 ans, entreprenante, n’oubliant rien d’Armentières d’où elle vient, se souvenant de tous ses proches et amis (Maman, Lou Gasté et tant d’autres malades du sida) accompagnés jusqu’aux derniers instants…

Line Renaud : une histoire de France, Philippe Kohly (France, 2005).

Premier de cordée

Samedi 22 décembre 2007

jml.jpg
© Jean-Baptiste Mondino / DR

Vendredi de veille de Noël. Librairie « Les mots à la bouche » (Paris, Marais), à la recherche du « Théâtre écorché » de Warlikowski. Un homme d’âge avancé ne trouve plus la libraire, en interpelle un autre à la caisse. C’est qu’il cherche des livres bien particuliers. Il tend à qui veut la lire quelques feuilles agrafées. Une liste de livres sur le bondage. Ecrit en gros, en haut, à droite de la première feuille : « Encordées », sans doute le nom d’un site Internet de référence. La libraire, partie à la recherche du Warlikowski, revient avec mon livre et confirme au vieil homme sa crainte. Les titres qu’il demande sont épuisés. Il faut essayer amazon.com ou des sites spécialisés de vente en ligne. L’homme, dépité, repart, saluant d’un bon mot la clientèle qui s’agite à attendre son tour à la caisse, assez amusée par ce délicieux manège. Je pense au carton qui clôt le clip de Madonna, « Justify my love », photographié par Mondino et mis à l’Index par le Vatican : « Poor is the man whose pleasures depend on the permission of another »…

www.encordees.com

123