Archive pour juin 2010

L’enchantement Pascale Marthine Tayou

Lundi 28 juin 2010

836081270117676kidsmascarade2jpg559x420p.jpg
© Pascale Marthine Tayou

On l’avait repéré lors des deux dernières Biennales de Venise, l’équipe de la Gare Saint-Sauveur lui a donné à Lille un terrain de jeu favorable à l’expression de son beau talent. Le plasticien camerounais Pascale Marthine Tayou compose de mille fils tissés les uns aux autres, un monde africain, concret mais rêveur, puissant d’évocation, de songes et de peurs terribles. De bric, de broc, en rafistolage et récupérations, tout un monde apparaît, disparaît, à mesure qu’on se familiarise à cette forêt de carcasses de voitures, de sacs plastiques ou de boîtes alimentaires : « la chanson sourde d’une histoire d’amour entre hommes dans le grand lit d’une aventure imaginaire à inventer in livre et in situ ». Croyez-le, le nom du monde de Pascale Marthine Tayou est magie !

Traffic jam, une exposition de Pasacle Marthine Tayou, Gare Saint-Sauveur (compte-rendu)

Les ballades extravagantes de Monsieur Fau

Lundi 28 juin 2010

maisondepoupeemichelfau342.jpg
Michel Fau © Marcel-Hartmann/Contour-by-Getty-Images

Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée ! Michel Fau, l’extravagant comparse d’Olivier Py, l’interprètes de toutes ses fantaisies mystiques, était pour quelles dates sur la scène du Théâtre du Rond-Point pour un tour de chant, modeste et sublime. Une revue qualifiée par lui d »‘impardonnable, pathétique et dégradante ». Si, à l’automne, par hasard, le spectacle court les routes de France, ne vous fiez pas à cette publicité mensongère et précipitez-vous. Vous ne serez pas déçu par les improbables numéros menés tambour battant par Michel Fau et ses acolytes Joël Lancelot et Delphine Beaulieu. Michel Fau aime le music-hall et lui rend hommage avec une férocité des plus beaux diables, reprenant aussi bien Piaf, Gainsbourg que Loana ou Carla Bruni en une succession de saynètes drôlissimes. On rit, on s’amuse, l’émotion n’est jamais très loin. Une vraie réussite.

L’improbable revue pathétique et dégradante de Monsieur Fau (compte-rendu).

M’as-tu vu ? Episode 50

Jeudi 24 juin 2010

b8e0208.jpg
© DR / Next

« Je ne l’ai pas demandée, vous savez !… Carla essaie de me rabibocher avec Frédéric Mitterrand, que je n’aime pas du tout. Je connais Carla depuis qu’elle a débuté, cela fait vingt ans. Elle est assez drôle, elle parle beaucoup, elle s’ennuie un peu. »
Karl Lagerfeld, Libération, le 22 juin 2010.

De quelques expositions d’un ennui mortel !

Jeudi 17 juin 2010

116213.jpg
© Andy Warhol Foundation

Elles n’ont pas passé l’été, elles ne laisseront pas de grands souvenirs. Alors, évacuons-les d’une pichenette, ces expositions-événements qui ne débouchent que sur un vague ennui. Des considérations et variations sur la mort, ici pour « Les vanités, art vivant » au Musée Maillol, une longue dissertation sur le crime, pardon « la douleur, le supplice, la mort », pour la très chic « Crime et châtiment » au Musée d’Orsay curatée, noblesse obligée, par les retraités ou académisés Robert Badinter et Jean Clair. D’une part comme de l’autre, rien à dire, rien à voir, des oeuvres placées les unes derrières les autres, au seul service de l’illustration d’un propos, sans considération de l’œuvre et du parcours des artistes. On pioche ici une tête de mort, là encore une chaise électrique et on sort même d’un musée de société la célèbre « veuve » du bon docteur Guillotin… Médecin, humaniste et homme politique français, on lui attribue à tort la machine à décapiter, lui qui pourtant ne se borna qu’à demander à l’Assemblée un instrument qui diminuerait l’horreur de l’action du bourreau…

M’as-tu vu ? Episode 49

Samedi 12 juin 2010

46742ruffinimg.jpg
Jean-Christophe Rufin © Stéphane de Sakutin

A lui aussi, la Sarkozye aura tout donné – un prestigieux poste d’ambassadeur au Sénégal, illustration de la nouvelle diplomatie française, à l’heure de l’heureuse ouverture kouchnerienne – et soudain, au nom des intérêts supérieurs de la France en Afrique et à la manière de ce pauvre monsieur Bockel, tout repris. Ne le plaignons pas non plus, peut-être qu’à partir du 30 juin, date à laquelle il a décidé « unilatéralement de quitter ses fonctions », ses collègues du Quai Conti auront le plaisir de le croiser davantage aux séances du dictionnaire de l’Académie Française. La politique africaine de la France se fait à l’Elysée, Monsieur Rufin ! Le vice-président Guéant la dirige d’une main de fer, sans le moindre gant de velours, entouré de ses émissaires attitrés, Robert Bourgi entre autres.
Le président Wade n’en pouvait plus de ce serviteur de l’Etat français, épris des nobles valeurs d’égalité, de fraternité et de liberté. Il aurait encore eu cette phrase malheureuse au détour d’une télégramme diplomatique, à propos d’investissements supplémentaires demandés par le président sénégalais sans exigeance de réformes démocratiques. Tout crédit octroyé reviendrait à « fournir à un toxicomane la dose qu’il demande, mais qui le conduit un peu plus sûrement vers sa fin ». Wade père et fils n’ont pas aimé, le téléphone a sonné à l’Elysée. On a proposé au turbulent ambassadeur de diriger l’ »Institut français », la nouvelle agence de promotion de la culture française à l’étranger. Il a refusé, faute de crédits et de prestige suffisant. Las, rupture des négociations, ces jours-ci, alors qu’on célèbre de par le continent le 50e anniversaire des Indépendances africaines : l’ambassadeur Rufin sera remplacé à la fin du mois par un vieux routier du continent africain Nicolas Normand. Fini de jouer les Paul Claudel, retour au macadam parisien, avec une furieuse envie de flinguer du Sarkozy, semble-t-il…

White material : le mystère du chien jaune

Samedi 12 juin 2010

whitematerialdeclairedenis4176962dbcjz1731.jpg
Isabelle Huppert © Wild Bunch Distribution

On sait mes faibles dispositions à endurer les gesticulations de Mme Huppert. Sa rencontre en Sainte Trinité avec Claire Denis, Marie Ndiaye laissait présager le pire. La presse était respectueuse, sans enthousiasme, micro tendu sans évanouissement, ni pâmoison. On allait voir. Disons le d’emblée : ce « White material » – étrangement déjà le nom du projet que Claire Denis préparait avec Bernard-Marie Koltès avant sa mort – est à tout le moins sensationnel. Claire Denis signe son film le plus intéressant depuis plusieurs années. Sans manière, sans explication, sans afféterie stylistique, sans pose. Le coeur de l’Afrique bat, coule dans les veines de ce film et les acteurs, toujours délicatement mis en « condition », en sont la pulsation visible. Huppert, d’abord, Huppert d’accord mais aussi le furieux Nicolas Duvauchelle en fils de famille flingué, Christophe Lambert en pleine résurrection, Michel Subor comme échappé d’un « Apocalypse Now » africain.
Quelque part en Afrique, dans une région en proie à la guerre civile, Maria refuse d’abandonner sa plantation de café avant la fin de la récolte. Terre rouge d’Afrique, comme sentier de guerre et de résistance, hommes et femmes en rebélllion, armés jusqu’aux dents, tête de mouton égorgé qu’on jette dans les sacs de café en signe de défiance, métamorphose canine. Naissance d’un Afrique fantôme. Le domaine est bientôt la proie des flammes. Il faut fuire. Dans cette fuite, les réminiscences d’une vie de labeur, un goût du travail sur cette terre fragile forment un superbe chant funèbre, un adieu à l’Afrique d’une femme, à jamais bouleversée par ce continent.

White material, un film de Claire Denis, avec Isabelle Huppert, Nicolas Duvauchelle, Christophe Lambert, Isaach de Bankolé. En salles (1h42).

Mammuth : un film gros comme ça

Samedi 12 juin 2010

gerarddepardieuinunascenadelfilmmammuth146019.jpg
Gérard Depardieu et Miss Ming © DR

Une mélodie en sous-sol. Couleurs charbonneuses, profils et trognes généreuses d’amour tendre. L’histoire tient d’un fil, mais quel fil, surréaliste et quotidien, minable et de hauts sentiments. Mammuth, on y croirait pas à dérouler le casting : réalisateurs, distribution, rien ne se prête à notre curiosité, on aura pu passer à côté. Pourtant, le film de Benoît Delépine et Gustave Kervern a vraiment de la grâce, celle des éclopés célestes, celle des désirs assouvis sans se poser de questions, celle d’une humanité encore possible. Et Depardieu, énorme, au mieux de son instinct, féroce comme un sanglier, le coeur noble, pareil à celui d’un cerf. Près de lui, gros mammouth, la tendresse à fleur de peau, Yolande Moreau, égale à elle-même mais sourire, Adjani en fleur vénéneuse, Anna Mouglalis boulevardière, et l’ahurissante Miss Ming, prix de la découverte de ce film heureux.

Mammuth, un film de Benoît Delépine et Gustave Kervern, avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Isabelle Adjani et Anna Mouglalis (1h32).

Bernard-Marie Koltès livré aux chiens

Vendredi 11 juin 2010

9156133a69flecrivainbernardmariekoltesenseptembre.jpg
Bernard-Marie Koltès © Louis Monnier

Il est bien difficile d’aimer le « Combat de nègre et de chiens » de Michel Thalheimer, quand c’est l’Afrique de Koltès qui vous accroche au coeur. Le metteur en scène allemand, adulé par les médias et groupies de l’ennuyeux Stéphane Braunschweig, en a gommé toute la substance pour transformer la pièce en puissant livret d’opéra germanique. On croirait Bayreuth, on est à la Colline, tentant de résister à l’assoupissement face à des comédiens hystériques, un chœur noir – drôle d’idée qu’il faille 10 comédiens noirs pour seconder la résistance brûlante d’un Alboury, alors que les autres personnages, dirigés à la caricature, s’en sortent seuls –. Dans un décor imposant, digne d’un vaisseau fantôme wagnerien, les comédiens crient, se masturbent, jouent prétentieux, oublient la volupté de la nuit africaine, creuset de l’inspiration de Koltès. On quitte le plateau, déçu de si peu de subtilité.

Combat de nègre et de chiens, ms Michel Thalheimer, Théâtre de la Colline, du 26 mai au 25 juin 2010.

Jérôme Bel : et le beau diable en rit encore…

Vendredi 11 juin 2010

091207tsmgo12jrmebelcmussacchiolaniello.jpg
© DR

La pièce, de danse, avait fait scandale à sa création en 1991. Près de 10 ans plus tard, à voir et entendre le charivari dans la salle du Théâtre de la Ville, dont on sait pourtant la résistance du public, bien que fort conventionnel et grégaire, à toute sorte de tentative d’épuisement du spectateur parisien, on se dit que Jérôme Bel doit encore en rire et être heureux que son « bon coup » fonctionne encore à merveille. Des cris, des hurlements, des apostrophes populistes, des « remboursez » et des « ta gueule » en réponse, sans oublier la rituelle « prise d’otage » des belles âmes de la culture élitiste pour tous. Contre quoi ? Une adorable dance party, où un DJ d’un certain poids s’emploie à faire tourner toute sorte de rengaines pop qui électrisent ou consternent l’assistance. Sur scène, on y chante, on y danse. Non sans une certaine rigueur, Ballet de l’Opéra de Lyon oblige. On reconnaît le délicieux Cédric Andrieux, échappé lui aussi de son très beau solo de l’automne. De la non-danse, on vous dit, alors il ne fallait pas s’attendre à autre chose de cela. Des manières de voyou, dominées par une exquise conscience de sa race. N’est pas Jérôme Bel qui veut.

The show must go on, ms Jérôme Bel avec le Ballet de l’Opéra de Lyon.

Les larmes amères de la famille Jordan

Vendredi 11 juin 2010

lifeduringwartime2.jpg
Life during wartime © DR

Un film atmosphérique, qui, à la manière de rien, vous fiche une sacrée trempe. Quelques mois et autant de jours au sein de la famille Jordan, à ne plus pouvoir supporter les familles. Un ballet de méduses, des névroses transportées par camion-benne, sans discernement de père, de mère, de soeur et futur ex beau-père. On s’y aime comme on peut, donc on ne s’y aime pas beaucoup et on se cantonne d’à peu-près, comme un cinglant viatique. Comme un renoncement furieusement psy à tout american way of love…

Life during wartime, un film de Todd Solondz (1h30). Prix du scénario, Mostra de Venise 2009.

12