Tanger, comme beaucoup d’autres villes, se donne à la nuit tombée. Elle devient jaune orange et bleu électrique dans la poussière de la nuit. C’est vendredi, la ville s’est éteinte à l’heure de la prière de midi. Puis, pas à pas, les tangérois ont repris leurs droits dans la ville blanche. Il fait encore soleil, sur la terrasse des restaurants de la place du Grand Socco, on peut voir dans un mirage l’Espagne de Tarifa toute proche. A coups réguliers, la sirène des bateaux faisant la traversée retentit. L’Afrique la plus nordique, et pourtant déjà l’Afrique, ou simplement le Maghreb, si l’on veut être précis : parfums d’Orient, parures dorées, odeurs âcres des marchés, viandes et poissons crus livrés à la chaleur…
Il ne reste rien du Tanger légendaire, celui des écrivains et des artistes de l’après-guerre : Bowles, Williams, Capote, Burroughs, Kerouac. Quelques vieilles américaines excentriques qui rejoindront bientôt le cimetière bordant l’Andrew Church du centre de la ville : on y compte des générations de Gertrude, Walter et autres Esther, aussi nombreux que les pâtisseries et librairies d’un grand siècle européen. La Librairie des Colonnes aujourd’hui est vide, elle ne voit plus passer Jean Genet qui venait y chercher les mandats des Editions Gallimard, juste une vietnamienne un peu folle qui exhorte les libraires à ne pas rester dans les livres qui rendraient neurasthéniques… « Allez-vous balader » leur dit-elle !
Tanger demeure une zone franche, où ne dérivent plus que ceux qui rêvent de faire le passage, matière à fiction pour un André Téchiné en mal d’inspiration (« Loin », « Les temps qui changent »). Les brûleurs rôdent dans les parcs, sur la « terrasse des paresseux » à la recherche d’une combine pour traverser la Méditerranée, cachés sous un camion, impossibles passagers clandestins d’un paquebot.
Certains essayent encore de raviver les grandes heures tangéroises : la photographe Yto Barrada et Cyriac Auriol se sont battus pour créer la Cinémathèque de Tanger au Cinéma Rif. Elle affiche aujourd’hui des films marocains, israéliens ou algériens, et une rétrospective des films de François Truffaut : Le dernier métro, Jules et Jim, La Peau douce… Bains de terre, hamman, jus d’orange frais, casbah, medina, bien sûr, de la douceur mais quand elle se mêle à autant de nostalgie, on rêve presque d’un autre monde… Vient alors la nuit pour nous réconcilier avec cette triste désuétude. Garçons et jeunes filles d’aujourd’hui se baladent. Et cette jeunesse sans doute heureuse malgré une monarchie peu regardante sur les droits de l’homme, affranchie des vieilles lunes occidentales, est le talent de Tanger, sa force et la possibilité, oui, d’un monde nouveau…
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Archive pour novembre 2008
Tanger la nouvelle se donne à la nuit tombée
Samedi 22 novembre 2008Hervé Guibert, journaliste intrépide
Samedi 22 novembre 2008Silence, puis de nouveau l’avalanche. Ce jeudi, Hervé Guibert faisait la une de deux des trois suppléments littéraires de la presse française. Dans « Libération », Philippe Lançon, fin analyste de la prose guibertienne, salue le talent du jeune journaliste Guibert à la faveur de la parution des « Articles intrépides » (Gallimard), recueil d’articles culturels publiés dans « Le Monde » entre 1977 et 1985 : « De Guibert, tout est là : une fantaisie précisée, cette phrase volante où les virgules rythment et innervent l’effort d’aimer, la morsure du regard sur le corps qui bouge, sécrète et se métamorphose, un goût de la vérité par excentricité des artifices et du spectacle, une passion légère pour les révérences de la mort. »
Nettement moins à l’aise, dans sa chronique du « Figaro littéraire », Yann Moix se prend les pieds dans le tapis de son admiration mais l’essentiel reste qu’à chaque nouvelle publication, la fascination pour Guibert, qu’il soit journaliste, écrivain, photographe, demeure. Espérons qu’il en soit ainsi longtemps et que ces articles « intrépides » et louangeurs permettent à Hervé Guibert de rencontrer de nouveaux lecteurs. On annonce pour 2009 la sortie en DVD de son film « La pudeur ou l’impudeur » (BQHL) et le coffret sonore du journaliste Vincent Josse « Hervé Guibert, l’écrivain photographe » (Naïve / Radio France) avec des textes de l’auteur lus par Jean-Louis Trintignant, Juliette Gréco, Cyrille Thouvenin et Anouk Grinberg.
Les articles intrépides, Hervé Guibert, Gallimard.
Le protocole rédactionnel, par Philippe Lançon, Libération, 20 novembre 2008.
Jane de tous les combats birmans
Samedi 22 novembre 2008Birkin, encore une fois. Mercredi, à Paris, Jane donnait une petite fête dans les locaux de sa maison de disques pour le lancement de son nouvel album « Enfants d’hiver » dont on a dit ici tout le bien et l’émotion qu’il nous procure. On appelle désormais cela un « show-case » où, devant la profession, les amis et la famille, Jane Birkin a chanté avec ses musiciens quatre de ses nouvelles chansons dont elle a pour la première fois écrit les paroles et repris en éternel hommage « ex-fan des sixties » de Serge Gainsbourg. Une jolie demi-heure en chansons avec une Jane fragile, petit charlot timide dans ses vêtements amples, qui dès qu’il s’agit de reprendre le combat pour la Birmanie donne de la voix, porte fort son engagement pour les enfants, les moines, Aung San Suu Kyi et les militants de son parti. De plus en plus libre, de plus en plus vrai.
M’as-tu vu ? Episode 15
Jeudi 20 novembre 2008La vérité sur la mort de Jacques Demy
Mardi 18 novembre 2008
Jacques Demy © DR
Il repose au cimetière du Montparnasse, finalement pas très loin de la Fée des lilas (Delphine Seyrig). Sa tombe est un joyeux pêle-mêle de pierres et de végétation folle, à la manière des installations de sa compagne Agnès Varda. C’est elle, aujourd’hui, qui livre, dans le magazine Têtu, à l’occasion de la sortie de son dernier documentaire « Les plages d’Agnès », un lourd secret de famille. Sur la mort du réalisateur le 27 octobre 1990, à l’âge de 59 ans, elle déclare : « Je dis clairement qu’il est mort du sida et qu’il ne voulait pas en parler. [...] On ne peut pas discuter un tel choix. Il faut replacer ça en 88-89. Ce n’est pas aujourd’hui. C’est il y a vingt ans… Il savait qu’il allait mourir. On tournait pour l’accompagner le plus loin possible. C’est ce qu’on a fait. On a fait le tournage (de Jacquot de Nantes, ndlr) et Jacques et mort quinze jours après, à la maison. » Nous le savions, comme beaucoup d’autres d’ailleurs. On nous avait raconté les coups de téléphone des proches dans les rédactions au lendemain de sa mort pour demander aux journalistes de cacher la cause réelle de son décès dans leur nécrologie. Aujourd’hui, Agnès Varda se libère et rend à Jacques Demy une partie de sa vie et de sa sexualité.
Pour un tandem Royal – Peillon
Lundi 17 novembre 2008Ce matin, dans les journaux, des kilomètres et des kilomètres d’articles pour décrire l’ambiance délétère du Congrès socialiste de Reims. Martine Aubry, Ségolène Royal, Benoît Hamon, Bertrand Delanoë, chacun son idée du Parti socialiste, tous la même envie de succéder à François Hollande qui finit en piteux état son dernier mandat. Et l’ombre de Lionel Jospin en statut de commandeur rancunier. Ce seront les militants en leur âme et conscience qui trancheront jeudi puisque personne n’a voulu négocier avec les animateurs de la motion de Ségolène Royal. Le résultat est navrant, la situation incompréhensible pour les sympathisants et électeurs qui voient une nouvelle fois le Parti socialiste, tout démocratique qu’il soit, plongé dans les affres de ses consultations internes qui ne permettent pas de dégager de majorité stable, les « éléphants » ayant l’œil visé sur la présidentielle avant même d’avoir élaboré un programme. Dans ce spectacle désolant reste une femme de caractère, seule à enthousiasmer les foules au-delà des militants : Ségolène Royal, comme un nouvel élan mitterrandien, parlant haut et fort. Si sa conception de la politique par instants déconcerte, son énergie est réelle et sa capacité à réformer le « vieux » parti engageante. Entourée d’une jeune garde brillante Vincent Peillon, Manuel Valls, Delphine Batho, fidèle au président Mitterrand, elle incarne un courage politique nécessaire face aux tentations gauchistes et autoritaires de l’aile gauche du PS. Elle est arrivée en tête malgré les chausse-trappes et la haine recuite de ses camarades. C’est à nouveau son tour.
M. Bourouissa : des images sous tension
Dimanche 16 novembre 2008La galerie du Château d’Eau à Toulouse l’a découvert au printemps dernier. Ses images de banlieues, et surtout de leurs habitants, font l’événement du Mois de la photo à Paris. Mohamed Bourouissa « documente » les quartiers dits « sensibles » (La Courneuve, Pantin, Argenteuil) avec un oeil acéré. Descente de policiers dans un appartement, sculptures de télévisions fracassées, confrontations de garçons et de filles d’aujourd’hui : toutes ses images semblent sous haute tension et cette électricité nous plaît. Un regard nouveau apparaît sans misérabilisme, au plus près d’un quotidien souvent fantasmé par les médias, au plus brut de codes inconnus.
Périphéries, Mohamed Bourouissa, Galerie Les Filles du calvaire, Paris 3, jusqu’au 22 novembre 2008.
Derek Jarman, le bleu de la nuit
Dimanche 16 novembre 2008Quelques semaines après la rétrospective londonienne « curatée » par Isaac Julien, le festival de cinéma gay de Paris lui ouvrait les portes du Grand Rex pour la présentation de son film-hommage au cinéaste Derek Jarman. Cinéaste ? Oui, bien sûr, mais aussi metteur en scène de théâtre, jardinier, peintre et réalisateur d’un clip pour les Pet Shop Boys (It’s a sin) ! Et plus encore activiste de la cause homosexuelle. C’est ce beau parcours que retrace son fidèle ami Isaac Julien avec le concours d’une autre amie de coeur, la comédienne Tilda Swinton. Ensemble, ils revisitent l’œuvre de Derek Jarman sans trop d’hagiographie, s’attachant à l’influence de son œuvre sur ses contemporains. Une heure durant, on vit dans la fièvre punk du Londres des années 70-80, des premières boites gay aux années Thatcher et à l’épidémie de sida contre lesquels luttera vaillamment Derek Jarman. La mort saisit Jarman en son jardin d’Ecosse, terrassant le génie créateur.
Le site du festival de films gays et lesbiens de Paris
Le site du film.
Les folies passagères de Jacques Demy
Dimanche 16 novembre 2008
Jeanne Moreau dans « La baie des anges » de Jacques Demy © Ciné-Tamaris
Tout Demy. On vous passera les jeux de mots que le réalisateur aimait tant, mais quel bonheur de disposer ad libitum de ses films enchantés (Model Shop, Lola, Peau d’âne, La baie des anges), courts-métrages (Le bel indifférent), documentaires (Le sabotier du Val de Loire), téléfilms (La naissance du jour, L’Evénement…) et films mal connus (Lady Oscar) ou mal aimés (Le jouer de flûte) comme ce très fragile (raté ?) Parking avec Jean Marais, Laurent Malet, Francis Huster et Marie-France Pisier où le ridicule l’emporte malheureusement sur la tentative de réinventer le mythe d’Orphée et Eurydice.
Par la volonté énergique d’Agnès Varda et de ses enfants Mathieu et Rosalie, l’intégrale des films de Jacques Demy sort enfin en DVD, avant la rétrospective que lui consacrera la Cinémathèque française en 2009. Le plaisir est tel de retrouver le cinéma de Jacques Demy qu’on en viendrait à pardonner l’indigence des bonus, insupportablement trustés par les amis de la Varda connection qui ne laissent aucune place à l’analyse pour ne suggérer que l’anecdotique ou le coloré alors que les films de Demy méritent des regards bien plus fins, qu’ils soient politiques, sociaux ou sexuels. Comme si l’on avait voulu gommer tous les aspérités, paradoxes, ambiguïtés du cinéaste sensible pour ne retenir que la ritournelle. Or la poésie de Demy et sa puissance intacte tiennent à la tension permanente et terrible des sentiments humains. L’intime rejoint alors souvent le combat politique comme dans ce beau film-manifeste qu’est « Une chambre en ville ». Réduire ainsi l’oeuvre de Jacques Demy à une parenthèse enchantée est franchement décevant. Il faut tout le talent et l’indépendance d’esprit d’un Jean-Pierre Berthomé, ami nantais et spécialiste es Demy, pour que s’entendent ces interrogations et que le propos échappe à la désespérante « doxa » familiale…
Intégrale Jacques Demy, un coffret DVD, Ciné-Tamaris, 99,99 euros.
Woody Allen perdu dans Barcelone
Dimanche 16 novembre 2008
Vicky Christina Barcelona © DR
Les journaux, sans exagération non plus, annonçaient un bon opus espagnol de Woody Allen. Vicky Christina Barcelona : Scarlet Johansson entourée de deux acteurs espagnols sortis du cinéma de Pedro Almodovar, Penelope Cruz et Javier Bardem… Une affiche alléchante pour un tout petit film bavard et sans relief. Définitivement, les grandes heures de Woody Allen semblent derrière lui et ce n’est pas le dépaysement barcelonais qui apporte au film une grande singularité. Encore un méli-mélo de couple, cette fois en forme de vaudeville espagnol. On regarde souvent sa montre avant un dénouement expédié sans imagination…