• Accueil
  • > Archives pour octobre 2008

Archive pour octobre 2008

Le cri de Tracey Emin à Edimbourg

Vendredi 31 octobre 2008

traceyemin.jpg
Tracey Emin © Scott Douglas

On quitte l’après-midi Oleg Kulik, un chien fou, à Paris pour découvrir une autre enragée à Edimbourg. Tracey Emin ! Cet automne, l’artiste anglaise d’origine chypriote, complice de Sarah Lucas et de la bande des Young British Artists (YBA) qui affolèrent la scène artistique londonienne au début des années 90, a les honneurs de la National Scottish Gallery of Modern Art pour la première rétrospective de ses créations.
20 ans, déjà ! Comme le temps semble passer furieusement vite avec Tracey Emin. De ses premiers dessins ou installations, plus rien. Tracey Emin a par deux fois détruit la totalité de son travail. Il ne reste aujourd’hui qu’une installation en forme de pirouette à l’entrée du musée : sur des étagères sont posés de petits canevas recouverts de photographies des oeuvres détruites. Cette liquidation fait l’effet d’une bombe et vous catapulte directement dans son univers trash et poétique. Echos d’une enfance difficile, amour de grand-mère et admiration du père propriétaire d’un hôtel « International », douleurs de l’avortement, passion d’amour destructrice, Tracey Emin donne la part la plus intime d’elle-même dans une débauche de couleurs, de patchworks et de sexe. Elle est la fille du quartier par qui le scandale arrive, mais il n’est que le reflet d’une vie de dureté. Et, merveille du sordide, Tracey Emin transforme ses blessures, ses dépressions en un art incontrôlé, totalement affranchi, lit ouvert sur ses névroses, sang et pisse compris. Parfois, aussi, Tracey Emin danse. Sur une musique des Bronski Beat, elle semble heureuse, virevolte. Parfois, encore, Tracey Emin hurle. Hommage à Munch, elle crie, sur un ponton de Norvège, nue face à la mer, la tristesse de tous ses enfants morts. Son hurlement court les couloirs de la Gallery et résonne encore à l’heure d’écrire ces quelques lignes. Magnifique engagement de soi pour la création, éblouissante domination de soi pour l’art. Alors le soufre qui entoure son œuvre s’estompe et c’est une remarquable artiste qui, année après année, dépression après controverse, force le respect.

« Tracey Emin. 20 years », National Scottish Gallery of Modern Art, jusqu’au 9 novembre

Oleg Kulik : la FIAC mordue par un chien

Mercredi 29 octobre 2008

kulik006.jpg
© Oleg Kulik

L’affaire Kulik a d’abord couru les allées de la FIAC avant de s’offrir deux colonnes dans « Le Monde » lundi, puis l’ouverture des pages « culture » de « Libération » ce matin. Samedi, à la FIAC, les photographies du russe Oleg Kulik ont été décrochées par des policiers en civil sur instruction du Parquet de Paris en raison du caractère « violent ou pornographique » des images « susceptibles d’être vues par des mineurs » montrées sur le stand de la galerie moscovite XL. Images saisies et galeristes gardés à vue.
Difficile de savoir s’il s’agit d’une péripétie due au zèle de quelques fonctionnaires des douanes ou la confirmation d’une censure carabinée qui s’abattrait sur la création artistique en France… Mais, surtout, qui est cet avant-gardiste d’Oleg Kulik, dont je découvre seulement aujourd’hui qu’il est exposé dans le monde entier, que les images de ses performances ont été achetées par le Ministère de la Culture et qu’en janvier prochain, au Théâtre du Châtelet, il signera une mise en scène des « Vêpres de la Vierge » de Monteverdi ?
Voulant juger sur pièces, je me précipite à l’heure du déjeuner à la galerie Rabouan-Moussion qui expose en même que la FIAC plusieurs de ses travaux récents. « Libération » a encore des lecteurs et la galerie comptait à mon arrivée une affluence inhabituelle de curieux et de journalistes venus flairer, caméra au poing, l’odeur du scandale. derrière les micros, se murmurent les mots de « zoophilie » et de « pornographie ». De scandale, pourtant, il n’y en a point dans les images d’Oleg Kulik – ou alors vous n’êtes jamais entré dans une galerie d’art contemporain. De la puissance et de la rage, en revanche, des tonnes.
Le performer, né à Kiev en 1961, se met en scène sur des tirages grand format. La nudité n’est jamais frontale, mais d’emblée, vous êtes saisi par la force et la beauté du bonhomme, une belle gueule de russe énervé, corps épais et musclé. Il est tour à tour chien méchant, politicien nourricier, Jésus d’un calvaire de boucherie moscovite. Et encore, la tête dans le cul d’une vache (« Deep into Russia » !), ami d’une chèvre nommé Charles, député aux pattes d’ovin, de nouveau chien en laisse et muselière, puis lâché face à des hommes politiques sans doute véreux et, pour terminer le parcours par une vidéo, gourou barbu. Son idéologie ? La « zoophrénie », soit une nouvelle façon d’aborder les rapports entre l’homme et l’animal dont le principe tient, nous indique un cartel, en ces quelques mots : « Je n’ai jamais été un homme. En effet être un homme exige l’exclusion de tout ce qui est non humain, que ce soit animal ou divin ». Instructif. Finalement, ce petit scandale a du bon : il nous découvrir un artiste, un vrai !

« New Sermon. Photos et vidéos de performances 1993-2003″, Oleg Kulik, Galerie Rabouan Moussion, Paris 3, jusqu’au 1er novembre.

David Lescot : une jolie colonie de vacances

Mardi 28 octobre 2008

dsc1750.jpg
David Lescot © Maison de la poésie

A y repenser, nous frôle encore le doux sentiment de mélancolie qui traverse le beau spectacle de David Lescot à la Maison de la Poésie. La Maison de la Poésie ? Le lieu, fondée par le poète Pierre Seghers, est idéal pour faire entendre cette charmante évocation de la vie d’une colonie de vacances, organisée pour les enfants de militants juifs communistes, du sortir de la guerre à l’effondrement des utopies socialistes au milieu des années 80. Muni d’une guitare et d’une voix juste, David Lescot nous raconte la vie de colo, en ne négligeant rien de son organisation et de ses principes collectivistes : « J’en ai fait un petit poème épique, parlé, chanté, scandé, qui fait le va-et-vient entre les temps de l’origine et ceux de l’extinction, entre la petite et la grande histoire. J’ai imaginé pour cela une sorte de cabaret minimaliste, pour que l’on entende aussi les chansons inoubliables que nous entonnions à l’époque, et pour lesquelles je m’accompagne d’une magnifique guitare électrique tchécoslovaque des années 60 (autant dire rare) ». Encadrement, premiers émois, doctrine sévère et mère nourricière – la célèbre Louba -, dans la petite cave de la Maison de la poésie, jeunes et plus vieux communient, la larme bientôt à l’oeil, à cette émouvante chronique. David Lescot, un jeune auteur, musicien, à suivre…

La Commission centrale de l’enfance, David Lescot, Maison de la poésie, jusqu’au 9 novembre.

Le sentiment morbide de l’existence

Mardi 28 octobre 2008

jetrembleif2b61.jpg
Je tremble (1&2) © Cie Louis Brouillard

Joël Pommerat a du talent. Depuis quelques années, il allonge sa longue carcasse de poésie dans des théâtres d’ombre et de brouillard, racontant les obscurités de notre temps, la souffrance et les éclats soudain de l’amour. Depuis qu’il a pris en viager le définitivement sublime Théâtre des Bouffes du nord (Direction Micheline Rozan Peter Brook), il dispose de moyens pour faire entendre sa singularité et porter son art au sommet. Pourquoi fallait-il alors qu’il nous offre en cette rentrée de septembre une assez ennuyeuse resucée de son spectacle « Je tremble » en « Je tremble (1&2) », également présenté au festival d’Avignon cet été. Le premier spectacle vu l’an dernier avait un charme irradiant, explosé, proche de l’univers visuel et mental de David Lynch et des vidéos de Bill Viola (cf. photo). La galerie de personnages se succédant sur le plateau, entre deux intermèdes de variétés internationales, avait une intensité et une inventivité rares. Rallongé de trois bons quarts d’heure, le spectacle s’offre désormais un entracte et des séquences de grand-guignol qui font perdre beaucoup à la démonstration de désespérance sardonique du premier opus. Dommage et inutile.

Je tremble (1&2), de Joël Pommerat, Théâtre des Bouffes du nord, jusqu’au 1er novembre 2008

M’as-tu vu ? Episode 12

Samedi 25 octobre 2008

dominiquestrausskahnetannesinclairreference.jpg
M. et Mme Dominique Strauss-Kahn © DR

« Nous nous aimons comme au premier jour ». Avec cette belle déclaration, Anne Sinclair est en droit de prétendre au Prix de l’humour politique après d’autres célèbres formules comme « Mitterrand avait Badinter pour le droit et Dumas pour le tordu », « Sarkozy fait tout, moi le reste » ou encore celle, légendaire, d’Edgar Faure : « Ce n’est la girouette qui tourne mais le vent ».
On ne reviendra pas sur cette misérable histoire de culottes dans les hautes sphères de la finance mondiale, on reste cependant stupéfait par la formidable opération de communication dans laquelle s’est lancé Anne Sinclair pour que son mari volage ne perde pas la face et son job solidement rémunéré. « L’Express » nous apprend que trois conseillers proches du communicant Stéphane Fouks ont été dépêchés à Washington dès la parution de l’article du « Wall Street Journal ». Avec le coureur de jupons multirécidiviste, ils ont préparé cette « blitzkrieg » en forme d’aller-retour de blog et d’excuses électroniques qui se termine par ces photos faussement volées du couple dans les rues de la capitale américaine. Un modèle du genre et un drôle de symptôme : celui d’une journaliste quittant le champ de l’information pour se laisser aller à la comédie de la communication émotionnelle. Edifiant.

Jane Birkin, bel enfant de l’hiver

Vendredi 24 octobre 2008

boxes2550948ca.jpg
Jane Birkin dans son film « Boxes » © DR

Ses chansons semblent s’être échappées de son film « Boxes », des journées sombres de ciel de crachin dans son petit village de l’Aber-wrac’h, pas loin de la retraite de son cher Christophe Miossec – le chanteur brestois qui lui rappelle tellement Serge. Jane Birkin a écrit toutes les paroles de son nouvel album « Enfants de l’hiver » et confié les mélodies à Edith Fambuena, Alain Lanty et quelques autres. Et c’est une réussite. Des chansons tristes et mélancoliques, piano-voix, accompagnées de quelques instruments pour sertir des textes très intimes. L’album sortira le 17 novembre, il signera le vrai retour de Jane Birkin à la chanson, après deux ou trois albums de contributions diverses, charmants mais impersonnels. Gainsbourg a cesse d’être son double, Jane B. s’avance seule sur ce disque. Elle est magnifique.

« 2001 je suis parti à Brest avec Dora… J’ai embarqué une douzaine de mélodies pour m’encourager… Je me suis mise immédiatement à écrire pendant dix jours, tempête dehors et dedans, je crois qu’il y avait une accalmie, et j’ai écris sur le sable, sur la plage Ste Marguerite, les pages volaient avec le vent…sur les dunes, je parlai dans mon dictaphone…c’était période bleue… pause… Avignon. Je pars pour une carte blanche offerte par Laure Adler en direct sur France Culture, Philippe Lerichomme me suggère les chansons de Gainsbourg réorchestrées par Djamel Benyelles…Djam & Fam…paroles de Serge, mistral, magie…Arabesque était né…l’Odéon, le public était là, un « Visiteur du Soir » aussi… Olivier Gluzman ! Nous voilà parti pour l’Algérie, avec Serge en Arabesque.
2008, sept ans et quarante et un pays plus tard… Je reprends mes textes et les mélodies après la sortie de « Boxes », retrouvés dans des tiroirs. Avec Philippe, mon complice de toujours, on a travaillé et corrigé mes fautes… J’ajoute des pages griffonnées sur ma table de nuit, sur une enveloppe, sur un menu, dans un avion, une plainte, une blague, un regret… Puis Eulry, Fambuena et Grill ajoutent leurs mélodies à celles du début : Souchon, Lanty, Richard, Sivadier, Workman, Rodde, Louis…J’y colle mes colères nocturnes, des nostalgies, des histoires…
Dans le studio d’Edith et Annika, j’étais en paix, accompagnée, bercée, aimée…les musiciens sont arrivés, doux, touchés, …un mois de bonheur, au revoir la solitude, mixage avec Mako, une semaine de parfum en plus… Je donne une photo de moi à douze ans, on me reconnaît…. Avec une infinie délicatesse, Jorge Fernandez m’emmène au bout… J’écris ceci sur la même table devant la mer, il pleut comme il y a sept ans, ma voix me chante à travers les haut-parleurs et je n’ai pas honte…
Je reçois les photos retouchées par Emilie, chronopost… « Enfants d’Hiver » part au jugement des autres…l’hivernage est terminé » Jane Birkin

Jane Birkin, Enfants d’hiver. Sortie le 17 novembre.

Le fier engagement du DV8 Physical Theatre

Vendredi 24 octobre 2008

dv8web.jpg
To be straight with you © Matt Nettheim – DV8

Il se joue pour une soirée encore sur la scène de la Maison des arts de Créteil l’un des plus beaux spectacles de danse et de théâtre mélangés de cette saison. Le britannique Lloyd Newson et sa très performante troupe du DV8 Physical Theatre donne « To be straight with you », un spectacle en forme de manifeste anti-homophobie, fruit de la recension de nombreux témoignages de personnes victimes de leur sexualité. Qu’ils soient de Jamaïque ou de Trinidad, médecin en Irak, rabbin ou imam, quidams saisis au hasard d’un micro-trottoir, ils sont les témoins dansés de cette pièce chorégraphique qui offre un formidable état du monde de l’intolérance sexuelle. Un tract ? Non, mieux que cela : un spectacle majeur, au cordeau qui se pare de la technologie la plus aboutie pour dénoncer et rêver d’un monde meilleur sans la moindre candeur. Implacable et salutaire. 80 minutes d’une intensité rare.

To be straight with you, Lloyd Newson, Maison des arts de Créteil, jusqu’au 25 octobre 2008.

Le pas de deux coeurs passés par l’hiver

Vendredi 24 octobre 2008

18659229.jpg
Fragments sur la grâce © Vincent Dieutre

Il faisait soleil à Noisiel ce dimanche et c’est dans une jolie atmosphère de feuilles d’automne qu’Arte et la Ferme du Buisson accueillaient les bobos parisiens en goguette et ados du quartier pour le festival européen « Temps d’images », idéalement coordonné par l’amie Frédérique C. On avait laissé les poussettes tout-terrain et leur contenant chez les grands-parents, les cheveux en bataille se faisaient concurrence et les garçons allaient souvent par deux.
Le pas de deux était aussi le tempo du chorégraphe Daniel Larrieu et du cinéaste Vincent Dieutre, rassemblés par José-Manuel Gonçalvès pour un « chantier » astucieusement appelé « Acte de présence avec petites trouvailles ». Des trouvailles en forme de retrouvailles pour deux quinquagénaires, survivants d’une hécatombe de sida, terribles témoins de la fin de la parenthèse enchantée de la libération homosexuelle. Ils étaient là, tous les deux, face à face, leur timidité, leur pudeur domptées par un attirail de machines, consoles de mixage, caméras dv, mac titanium pour raconter leur fin des années 80. Années de travail harassant pour l’un – des tournées que l’on égrène au fil de son agenda comme les morts que l’on enterre, numéros de téléphone qu’on raye de son répertoire ; années de sortie du tunnel de la drogue et premiers pas de cinéma pour l’autre. Daniel Larrieu et Vincent Dieutre se donnaient l’un à l’autre – et la rencontre était éblouissante d’émotion. L’un danse, l’autre chante. Tout est fragile, donc sublime tandis que court le fantôme d’Hervé Guibert dans les jardins romains de la Villa Médicis.

Le site du festival « Temps d’images »

Roberto Saviano : un Italien en danger

Jeudi 23 octobre 2008

robertobio.jpg
Roberto Saviano © DR

Il est l’auteur d’un livre important « Gomorra » (Gallimard) qui vient de recevoir à Francfort le prix 2008 de l’adaptation. Aujourd’hui l’Italien Roberto Saviano est menacé de mort par la mafia. « Pour la première fois de l’histoire de ce prix, nous avons décidé de récompenser non seulement le réalisateur, Matteo Garrone, mais aussi l’écrivain Roberto Saviano », ont indiqué les organisateurs dans un communiqué. Saviano, 29 ans, vit et souffre sous une protection policière permanente. Il a annoncé la semaine dernière qu’il envisageait de quitter l’Italie après l’annonce que le principal clan de la Camorra, les Casalesi, voulait le tuer avant Noël.

« Lettera alla mia terra », la lettre de Roberto Saviano publiée dans la Repubblica.

In Barack Obama we trust

Jeudi 23 octobre 2008

barackobama01.jpg
Barack Obama © Callie Shell – Time / CNN

Impossible de ne pas y communier. Dans quelques jours, Barack Obama sera président des Etats-Unis. A lire les médias français et américains, son irrésistible ascension ne semble plus pouvoir être freinée. D’autres louent encore ce coup de génie politicien d’arrêter sa campagne pour aller au chevet de sa grand-mère affaiblie et… blanche pour couper l’herbe sous les pieds des plus conservateurs, effrayés par l’arrivée d’un homme de couleur au Capitole. Alors, oui, je croise les doigts, en espérant que l’effet Bradley, du nom de ce sénateur noir donné vainqueur lors d’une élection en 1982, mais froidement battu dans les urnes, vaincu par le racisme rampant d’une Californie trop profonde, ne sonnera pas le glas de ce grand pas vers un monde d’une plus grande diversité. Oui, sans que cela ne change le monde ou la violence de la crise financière, vivement Obama !

Le portfolio « Barack Obama, portrait of a candidate » sur le site Time / CNN.

12