Archive pour juin 2008

Shalom Israël : ma nuit au poste

Samedi 21 juin 2008

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© DR

Sur le tapis roulant de l’aéroport de Tel Aviv, des bagages attendent des heures durant leurs propriétaires. Dans l’indifférence générale. Ceux-là sont retenus au contrôle des passeports. Un visa syrien, jordanien, une indécision dans le déroulé de votre séjour, le nom de votre hôtel bafouillé, un passeport grec pour une famille anglaise et vous voici devant une succession d’agents de la police israëlienne de l’air et des frontières. Le nom de votre père ? Le nom de votre mère ? Son lieu de naissance ? Le nom de votre grand-père ? Votre lieu de naissance ? Votre profession ? Le nom de votre hôtel ? La raison de votre voyage ? Les lieux que vous visiterez ? Combien d’argent disposez-vous ? Le nom de vos contacts en Israël ? Pourquoi ce voyage en Israël ? Etes-vous politiquement engagé ? Qui est au courant de votre présence en Israël ? Etes-vous musulman ? Votre mère est musulmane ? Quel est le nom de votre grand-mère ? Où est née votre grand-mère ? Votre grand-mère est musulmane ? Quelle est votre religion ? Quels sont les derniers pays que vous avez visités ? Comptez-vous vous déplacer dans les territoires palestiniens ? Avez-vous des contacts avec les autorités palestiniennes ? Au bout du troisième interrogatoire, vous commencez à vous agacer de ces questions dont l’agent oublie les réponses à mesure que vous les prononcez. Le flot des questions continue et vous en êtes bientôt à votre quatrième fonctionnaire, tout juste sorti de l’adolescence. Même question et cette apothéose pour finir : Le Bénin ? Mais où se trouve ce pays ? Et la policière aux ongles french-manucurés de se faire aider de wikipédia pour convenir de l’existence de ce petit pays de l’Ouest africain…

Triomphe madrilène pour José Tomas

Samedi 21 juin 2008

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José Tomas à Madrid © Reuters

Je n’y étais pas, tout occupé à mes aventures toulousaines et les échos du triomphe de José Tomas dans les arènes de Madrid en ce début juin me sont venus tardivement. Deux toros, quatre oreilles et le public de Las Ventas conquis. Au lendemain, les journaux espagnols n’en pouvaient plus de dithyrambe et criaient au génie. Quelques images de mauvaise qualité circulent sur le net. La maestria de Tomas face aux toros crève, malgré tout, l’écran : élégance de la pose doublée de tristesse dans le regard, fermeté de la ligne, respect de l’animal. Le toro suit le moindre geste du torero, comme hypnotisé. José Tomas est grand.

Karl Lagerfeld, dame patronnesse

Vendredi 20 juin 2008

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© Prévention routière

On avait laissé Karl Lagerfeld flambant, inspiré et d’une délicieuse méchanceté dans le film bien trop sage de Rodolphe Marconi « Lagerfeld confidentiel » qui sort ces jours-ci en DVD. Voyage de jet entre Paris et New-York, garçons alanguis sous le faux prétexte de photographie de mode, donzelles enamourées du maître, prêtes à tous les sacrifices de personnalité pour se maintenir à ses ciseaux, homme inaccessible et volontairement seul, beau jeune homme de compagnie à qui l’on donne du monsieur, personnel attentif et intimidé, grimaces de la douairière de Monaco, blagues vulgaires juste admissibles dans la haute, il arrive même que le tailleur allemand dont les rêves ravissent les frères Wertheimer enlève ses lunettes… A longueur d’entretiens vachards, Karl Lagerfeld fustige le politiquement correct et les bonnes âmes. Un vrai sacerdoce, semble-t-il. Alors pourquoi se transformer le temps de cette campagne pour la Prévention routière en dame patronnesse ? A son tour, Karl, en pleine contradiction, rêverait-il d’être aimé ?

Lagerfeld Confidentiel, de Rodolphe Marconi, en DVD.

Tout le plaisir était pour moi…

Vendredi 20 juin 2008

Je courais. Dans les rues de Toulouse, à la recherche de quelques valises égarées dans un grand hôtel. Ma course s’arrêta devant lui. Parce qu’il convenait de le saluer. Jean d’Ormesson traversait la place Wilson aux bras de sa fille Héloïse. Et déjà, il riait, ravi que nous nous rencontrions enfin. Après tant de messages au téléphone pour préparer sa lecture au Marathon des mots. Ensemble, nous avions choisi ses carnets de voyage vénitiens. A cela, j’avais ajouté quelques pages sur l’écriture, son amour du soleil et le plaisir à profiter de l’existence, et, par la même, redécouvert une plume joyeuse.
Le lendemain, à peine une heure avant le déjeuner, je me proposais de le rejoindre avec quelques autres invités. Il voulait manger un cassoulet. Un ami lui avait conseillé les restaurants du marché Victor Hugo. Nous nous retrouvions au Louchebem. Au premier étage du marché toulousain, c’est une foule joyeuse et familiale qui se sustante : foie gras de tradition ancestrale, pièces de bœuf de premier choix, cassoulet, Tariquet et crème catalane remplissent les estomacs.
Au centre de la tablée, Jean d’Ormesson est heureux, sautille, se marre, nous étourdit de citations, pique ses collègues écrivains ou académiciens, donne un compliment à une actrice et salue élégamment tous les personnes qui viennent le saluer, lui demander une dédicace. Il est populaire, le sait et s’en amuse. A ses dires, ce seraient Laurent Gerra, Fonelle et Julien Doré qui lui auraient offert ce regain de popularité, lui l’écrivain, ancien patron du Figaro, qui aurait du comme tant d’autres sombrer avec les années dans l’anonymat. Qui se souvient de Roger Caillois ? me demande-t-il, bien conscient de sa chance… Nous en rions comme des chenapans, parlons encore de quelques écrivains, des prochains candidats à l’Académie et de sa dernière visite au président François Mitterrand avant que ce dernier ne quitte quelques minutes plus tard l’Elysée. En sortant du palais présidentiel, le public l’interrogeait : « Vous êtes venu pour Chirac ? ». Lui répondait, hilare : « non pour Mitterrand ! »
Deux belles heures ont passé. Il a maintenant un rendez-vous improvisé à l’instant avec une écrivain installée à Toulouse. Son oeil bleu oxford brille de la belle complicité qu’il entretient avec elle. Encore des photographies, encore des mains serrées. On se quitte, on s’embrasse…
Le lendemain, un message au téléphone : « Monsieur Serge Roué, c’est Jean d’Ormesson. Je voulais vous remercier. Vous avez merveilleux, je vous suis très reconnaissant. J’ai passé grâce à vous des heures délicieuses à Toulouse. Et je m’en serai voulu de ne pas vous dire ma gratitude. J’essaye de vous rappeler mais je voulais dès à présent vous remercier. Bonne chance à vous, à bientôt, au revoir. » Tout le plaisir était pour moi, cher Jean d’Ormesson.

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Jean d’Ormesson © Le Figaro

Pierre Bergé, le compagnon de longue date

Jeudi 19 juin 2008

Qu’on me pardonne d’y revenir encore, mais la photographie est ces jours-ci dans plusieurs magazines et me touche au point d’avoir envie de la signaler. Pierre Bergé, entouré de quelques intimes (Jack Lang, Claire Chazal) et proches collaborateurs d’Yves Saint Laurent venus en avion privé de Paris, a dispersé ses cendres dans le jardin Majorelle de leur villa de Marrakech. La sépulture est des plus simples : une colonne romaine, attaquée par le temps, au milieu des palmiers. Une inscription : Yves Saint Laurent / Couturier français / Oran 01 08 1936 / Paris 01 06 2008. Pour l’occasion, Pierre Bergé pose assis sur le bord de la stèle funéraire couverte de roses blanches. Il a le costume impeccable et les traits tirés. On devine la tristesse infinie du compagnon de longue date. Les mots de son discours d’adieu au grand couturier en l’Eglise Saint-Roch résonnent encore à nos oreilles. Avec lui, on pleurerait encore.

Lire le texte intégral de l’hommage de Pierre Bergé à Yves Saint Laurent.

Un extrait vidéo de l’hommage de Pierre Bergé sur LCI

Impressions soleil couchant

Mardi 17 juin 2008

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Edmonde Charles-Roux © Le Figaro

« Tel un arbre de la liberté. Je l’aimais sans effusion, sans pesanteur inutile. Inébranlablement. » René Char

La vieille dame d’Afrique est morte ce vendredi matin. J’étais loin d’elle à préparer la fête d’une autre dame du Sud. De Méditerranée, celle-là. Poursuivie et admirée depuis des années. Edmonde Charles-Roux m’est apparue dans le patio du Crowne Plaza quelques heures après l’annonce de cette malheureuse nouvelle. Je ne m’aperçois qu’aujourd’hui qu’avec elle j’ai rendu hommage à l’autre. Dans une impudeur que personne n’aura pu saisir. Que je livre maintenant dans le souvenir apaisant qu’elle offre à la tristesse.
Droite dans un canapé d’une couleur avoisinant celle de son tailleur, le cheveu bien tenu, sans lunettes. Vieille, sans doute très fatiguée mais l’œil encore vif et malicieux. Alerte. A de jeunes journalistes, elle racontait encore les épisodes fameux de son existence. L’enfance des palais de la diplomatie française. Le grouillot devenu directrice de « Vogue ». Présidente de l’Académie Goncourt. Biographe de Chanel. Maîtresse et femme de Gaston Defferre, l’homme de la décolonisation et de Marseille. Complice admirative d’Aragon, de Morand, de Derain, des écrivains russes ou de Giono. Chaque fois la même femme, chaque fois si différente. Insolente à vivre encore chaque instant que le monde fait pour elle.
Nous nous retrouvions donc à Toulouse, après ce dîner du Goncourt des Lycéens à Rennes, et bien plus tard, cette belle journée d’automne passée l’an dernier à célébrer Colette à Brive-la-Gaillarde. Elle fit peut-être semblant de me reconnaître, j’étais heureux de la revoir. Le lendemain, de peur, j’ai disparu, laissant à d’autres le soin de la guider vers son public venu en trop grand nombre. Au téléphone, on me rassurait : la rencontre se passait merveilleusement.
Ce n’est que plus tard que j’ai pu lui offrir ce cadeau des condoléances d’une autre. De quelques textes (Morand, Izzo, Nourissier), de phrases volées aux poètes (« Les dieux désertent Antoine » de Constantin Cavafy, « Les feuillets d’Hypnos » de René Char) portés par la voix gracieuse d’une comédienne rencontrée la veille, raconter son parcours, sa vie, dérouler sa biographie de roman. A la fin du dernier poème (« Nous dormirons ensemble » de Louis Aragon), longuement applaudie, elle prit la parole. Pour apporter sa touche personnelle au portrait. Dire, aussi, son émotion et sa gratitude. Sans le savoir, et par les remerciements qu’elle m’adressait pour cet hommage rendu à sa vie intensément remplie, je disais au revoir à Baï Quenum, morte la veille à Cotonou (Bénin). Ma grand-mère.

YSL : « C’est la mer allée avec le soleil… »

Vendredi 6 juin 2008

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Catherine Deneuve © Reuters

« Voilà, Yves, ce que je voulais te dire. Il va falloir se quitter maintenant et je ne sais comment le faire. Parce que je ne te quitterai jamais – nous sommes nous jamais quittés? – même si je sais que nous ne regarderons plus le soleil se coucher derrière les jardins de l’Aguedal, que nous ne partagerons plus d’émotion devant un tableau ou un objet d’art. Oui, tout cela je le sais, mais je sais aussi que je n’oublierai jamais ce que je te dois et qu’un jour, j’irai te rejoindre sous les palmiers marocains. Pour te quitter, Yves, je veux te dire mon admiration, mon profond respect et mon amour. » Pierre Bergé

Je le confesse volontiers. Entre mille choses à faire, j’ai passé la journée le nez collé aux photographies des obsèques d’Yves Saint Laurent hier en l’église Saint-Roch. Happé par le défilé des personnalités en couverture de nombreux journaux : imposante tribune en une du Herald Tribune, abandon total de Pierre Bergé à la tristesse, dignité de Mme Sarkozy tandis que Mme Chirac tenait, à la tradition, son rang. La mère et la soeur de Monsieur ; les muses, les académiciens, les financiers, les ministres de la Culture rangés par deux Betty Catroux, Loulou de la Falaise, Inès de la Fressange, Laetitia Casta, Farah Diba, Farida Kelfa, Angelo Rinaldi, Erik Orsenna, François Pinault, Bernard Arnault, Renaud Donnedieu de Vabres, Christine Albanel, les gens de couture Rykiel mère et fille, Valentino, Givenchy, Kenzo, les héritiers Gaultier, Galliano, Lacroix, Pilati, Elbaz et quelques amis encore, de proche ou de longue date, Claire Chazal, M. et Mme Bernard-Henri Lévy…
De la « Chanson des vieux amants », du parfum des lys et des jasmins à la présence des autorités du Maroc – djellabah de nacre et petit chapeau rouge – où les cendres d’Yves Saint Laurent seront jetés en jardins de Majorelle, rien ne nous fut caché de la cérémonie. Sauf peut-être l’émotion éperdue de Catherine Deneuve. Arrivée les bras chargés de verts épis de blés, le visage des temps sévères et de la tristesse, elle s’avançait, seule, parmi les premiers invités et gagnait une place tout près du cercueil du couturier recouvert d’un tissu jaune piqué lui aussi d’épis, laissant la rue et son brouhaha d’anonymes massés en foule sentimentale au pied de l’Eglise.
Pour lui, elle dit quelques lignes de Walt Whitman, tirées de « Feuilles d’herbe » que beaucoup d’articles retiennent en serment d’amitié éternelle : « Quant à toi, mort, il est vain d’essayer de m’effrayer »… Je pensais, moi, davantage aux mots de Rimbaud : « Elle est retrouvée / Quoi ? L’Eternité / C’est la mer allée avec le soleil ».

Un extrait vidéo de l’hommage de Pierre Bergé sur LCI

Barack Obama : c’est son tour !

Mercredi 4 juin 2008

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© AP

Les nouvelles arrivent d’Amérique et nous ravissent. C’est vraisemblablement gagné pour Obama, malgré la résistance d’Hillary Clinton, dont on voudrait qu’à la manière de son Bill de mari, elle reconnaisse la réalité de son échec pour aider à porter Obama jusqu’au Capitole. Mais maintenant le plus dur commence : vaincre l’Amérique, ses conservatismes, élaborer un programme qui ne soit pas qu’une façade de changement et redonner espérance. Pour cela, Barack Obama a des qualités et la conscience des aspirations d’un nouveau siècle. C’est son tour !

Yves Saint Laurent : bonjour, tristesse

Lundi 2 juin 2008

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Yves Saint Laurent © Jeanloup Sieff / DR

« Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, cherchés, traqués. Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers. J’ai connu la peur et la terrible solitude. Les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants. La prison de la dépression et celle des maisons de santé. De tout cela, un jour je suis sorti, ébloui mais dégrisé. Marcel Proust m’avait appris que « la magnifique et lamentable famille des nerveux est le sel de la terre ». J’ai, sans le savoir, fait partie de cette famille. C’est la mienne. Je n’ai pas choisi cette lignée fatale, pourtant c’est grâce à elle que je me suis élevé dans le ciel de la création, que j’ai côtoyé les faiseurs de feu dont parle Rimbaud, que je me suis trouvé, que j’ai compris que la rencontre la plus importante de la vie est la rencontre avec soi-même » Yves Saint Laurent, 7 janvier 2002

L’ami Vincent J. nous réveille de cette sombre nouvelle. Yves Saint Laurent est mort.
Les rumeurs couraient. Une maladresse journalistique avait même fait il y a quelques jours diffuser sa nécrologie sur LCI. Aujourd’hui la tristesse est de mise. On pense à cette photographie parue dans « Point de vue », la seule visible, montrant le couturier très affaibli, Catherine Deneuve et le président Sarkozy à ses côtés pour la remise de la Croix de Grand Officier de la Légion d’honneur…
Yves Saint Laurent, ce splendide vieux lion croisé un soir de première au Théâtre de Nanterre, le compagnon subtil de Catherine Deneuve dans ses plus belles extravagances vestimentaires, les sahariennes en jardins de Majorelle, la femme-smoking par Helmut Newton, le portrait de Warhol, la robe de scène d’Ingrid Caven, et cette photographie sublime de lui nu par Jeanloup Sieff.
Yves Mathieu, Monsieur Saint Laurent rejoignent l’éternel, eux qui vivaient d’absolu et d’extrême. Vie de timidité et de grande tension artistique, blessure d’enfance et règne absolu de la beauté, Oran de poésie, jamais abandonnée, race divinement proustienne, et cette dépression dominée tant que cela fut possible par la création. A jamais, notre maître, merci.

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