Je courais. Dans les rues de Toulouse, à la recherche de quelques valises égarées dans un grand hôtel. Ma course s’arrêta devant lui. Parce qu’il convenait de le saluer. Jean d’Ormesson traversait la place Wilson aux bras de sa fille Héloïse. Et déjà, il riait, ravi que nous nous rencontrions enfin. Après tant de messages au téléphone pour préparer sa lecture au Marathon des mots. Ensemble, nous avions choisi ses carnets de voyage vénitiens. A cela, j’avais ajouté quelques pages sur l’écriture, son amour du soleil et le plaisir à profiter de l’existence, et, par la même, redécouvert une plume joyeuse.
Le lendemain, à peine une heure avant le déjeuner, je me proposais de le rejoindre avec quelques autres invités. Il voulait manger un cassoulet. Un ami lui avait conseillé les restaurants du marché Victor Hugo. Nous nous retrouvions au Louchebem. Au premier étage du marché toulousain, c’est une foule joyeuse et familiale qui se sustante : foie gras de tradition ancestrale, pièces de bœuf de premier choix, cassoulet, Tariquet et crème catalane remplissent les estomacs.
Au centre de la tablée, Jean d’Ormesson est heureux, sautille, se marre, nous étourdit de citations, pique ses collègues écrivains ou académiciens, donne un compliment à une actrice et salue élégamment tous les personnes qui viennent le saluer, lui demander une dédicace. Il est populaire, le sait et s’en amuse. A ses dires, ce seraient Laurent Gerra, Fonelle et Julien Doré qui lui auraient offert ce regain de popularité, lui l’écrivain, ancien patron du Figaro, qui aurait du comme tant d’autres sombrer avec les années dans l’anonymat. Qui se souvient de Roger Caillois ? me demande-t-il, bien conscient de sa chance… Nous en rions comme des chenapans, parlons encore de quelques écrivains, des prochains candidats à l’Académie et de sa dernière visite au président François Mitterrand avant que ce dernier ne quitte quelques minutes plus tard l’Elysée. En sortant du palais présidentiel, le public l’interrogeait : « Vous êtes venu pour Chirac ? ». Lui répondait, hilare : « non pour Mitterrand ! »
Deux belles heures ont passé. Il a maintenant un rendez-vous improvisé à l’instant avec une écrivain installée à Toulouse. Son oeil bleu oxford brille de la belle complicité qu’il entretient avec elle. Encore des photographies, encore des mains serrées. On se quitte, on s’embrasse…
Le lendemain, un message au téléphone : « Monsieur Serge Roué, c’est Jean d’Ormesson. Je voulais vous remercier. Vous avez merveilleux, je vous suis très reconnaissant. J’ai passé grâce à vous des heures délicieuses à Toulouse. Et je m’en serai voulu de ne pas vous dire ma gratitude. J’essaye de vous rappeler mais je voulais dès à présent vous remercier. Bonne chance à vous, à bientôt, au revoir. » Tout le plaisir était pour moi, cher Jean d’Ormesson.

Jean d’Ormesson © Le Figaro