Edmonde Charles-Roux © Le Figaro
« Tel un arbre de la liberté. Je l’aimais sans effusion, sans pesanteur inutile. Inébranlablement. » René Char
La vieille dame d’Afrique est morte ce vendredi matin. J’étais loin d’elle à préparer la fête d’une autre dame du Sud. De Méditerranée, celle-là. Poursuivie et admirée depuis des années. Edmonde Charles-Roux m’est apparue dans le patio du Crowne Plaza quelques heures après l’annonce de cette malheureuse nouvelle. Je ne m’aperçois qu’aujourd’hui qu’avec elle j’ai rendu hommage à l’autre. Dans une impudeur que personne n’aura pu saisir. Que je livre maintenant dans le souvenir apaisant qu’elle offre à la tristesse.
Droite dans un canapé d’une couleur avoisinant celle de son tailleur, le cheveu bien tenu, sans lunettes. Vieille, sans doute très fatiguée mais l’œil encore vif et malicieux. Alerte. A de jeunes journalistes, elle racontait encore les épisodes fameux de son existence. L’enfance des palais de la diplomatie française. Le grouillot devenu directrice de « Vogue ». Présidente de l’Académie Goncourt. Biographe de Chanel. Maîtresse et femme de Gaston Defferre, l’homme de la décolonisation et de Marseille. Complice admirative d’Aragon, de Morand, de Derain, des écrivains russes ou de Giono. Chaque fois la même femme, chaque fois si différente. Insolente à vivre encore chaque instant que le monde fait pour elle.
Nous nous retrouvions donc à Toulouse, après ce dîner du Goncourt des Lycéens à Rennes, et bien plus tard, cette belle journée d’automne passée l’an dernier à célébrer Colette à Brive-la-Gaillarde. Elle fit peut-être semblant de me reconnaître, j’étais heureux de la revoir. Le lendemain, de peur, j’ai disparu, laissant à d’autres le soin de la guider vers son public venu en trop grand nombre. Au téléphone, on me rassurait : la rencontre se passait merveilleusement.
Ce n’est que plus tard que j’ai pu lui offrir ce cadeau des condoléances d’une autre. De quelques textes (Morand, Izzo, Nourissier), de phrases volées aux poètes (« Les dieux désertent Antoine » de Constantin Cavafy, « Les feuillets d’Hypnos » de René Char) portés par la voix gracieuse d’une comédienne rencontrée la veille, raconter son parcours, sa vie, dérouler sa biographie de roman. A la fin du dernier poème (« Nous dormirons ensemble » de Louis Aragon), longuement applaudie, elle prit la parole. Pour apporter sa touche personnelle au portrait. Dire, aussi, son émotion et sa gratitude. Sans le savoir, et par les remerciements qu’elle m’adressait pour cet hommage rendu à sa vie intensément remplie, je disais au revoir à Baï Quenum, morte la veille à Cotonou (Bénin). Ma grand-mère.