Archive pour mai 2008

Susan Sontag : derniers jours, double mort…

Mercredi 7 mai 2008

C’est un livre à se demander si les commentateurs qui, ici et là, l’ont acclamé l’ont réellement lu. David Reiff est le fils de Susan Sontag. Editeur américain de Yourcenar, Canetti et Roth, il se consacre désormais à l’écriture et au journalisme, couvrant les grands conflits internationaux pour le prestigieux mais parfois vite jeté au panier « New-York Times Magazine ». Dans « Mort d’une inconsolée », il revient sur les derniers jours de sa mère, saluant son courage, sa volonté inouïe de comprendre le mal qui la ronge pour mieux le dompter et cette force intellectuelle qui ont fait d’elle une personnalité littéraire de premier plan aux Etats-Unis et dans le monde entier.
Pour cette chronique d’un mort malheureusement annoncée par plusieurs rechutes cancéreuses, crier au génie littéraire semble disproportionné. En revanche, ce qui fait l’intérêt de ce récit est la bataille rangée que se livrent à distance le fils et la compagne de Susan Sontag, la photographe Annie Leibovitz. Pour cette dernière, Rieff n’a que ces quelques phrases cinglantes, revenant sur ces photographies mortuaires que la photographe a publiées dans « Une vie de photographe 1990 – 2005 et parlant pour sa mère de « l’humiliation de se voir « commémorer » dans les images de carnaval de mort célèbres prises par Annie Leibovitz ».
Intrigué, je sors le beau et lourd album de la bibliothèque et relis la préface de Leibovitz. Et là, révélation : Annie Leibovitz décrit, elle aussi, l’agonie de son amie qui semble tout d’un coup complètement différente. A se demander quelle fut la dernière tenue de la morte, puisque les deux revendiquent le choix du dernier vêtement… Qui croire ?
Perturbé par ces troublantes incohérences, on fait escale un dimanche de grande pluie au cimetière Montparnasse pour espérer tirer cette histoire au clair. L’affaire s’assombrit à la recherche de la tombe de Sontag que David Reiff localise près de celle de Beauvoir et Sartre. Pour la trouver, il faut en appeler au classeur et plan du gardien. La tombe est à l’opposé de celle du célèbre couple. Est-ce une erreur de traduction ou M. Reiff méconnaît l’emplacement de la tombe parisienne de sa mère ? Le mystère reste entier et le livre en devient finalement assez déplaisant. Pour rendre justice à Mme Leibovitz, on découvrira à la National Portrait Gallery de Londres ses photographies de stars américaines qui ont fait les plus belles pages de Vanity Fair… La foire aux vanités, vous avez dit ?

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Susan Sontag © Annie Leibovitz

David Reiff, Mort d’une inconsolée, Climats, 2008.
La vie d’une photographe, Annie Leibovitz, La Martinière, 2006.

José Tomas trompe encore la mort

Mercredi 7 mai 2008

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José Tomas dans les arènes de Madrid © DR

Il a l’élégance d’un guépard viscontien. Il est comme le dernier des hommes. Sombre dans l’extrême maîtrise de soi et peut-être la mélancolie même. De lui, on a raconté les vertiges de la dépression, l’abandon des torils et le retour plus beau encore. La dernière semaine, à Madrid, à l’instant de l’estocade, le toro n’a pas voulu mourir sans une charge ultime, blessant José Tomas au cou. Malgré le sang et la douleur, il est resté dans l’arène pour achever le combat. Ensuite, l’infirmerie, l’anesthésie et la vie finalement hors de danger. Demain, il ne sera pas dans les arènes de Nimes, où la Féria de Pentecôte devait une fois nouvelle le consacrer, lui qui n’avait accepté que ce seul engagement en France. Une méchante fortune nous avait empêchés de nous procurer le sésame d’un moment certainement inoubliable de tauromachie. Nous le voyions déjà, le regard si triste, éperdu d’infini et de délicatesse face à la bravoure du toro, silhouette élancée découpée dans le sable d’or et de sang. Ce soir, souhaiter son prompt rétablissement et guetter le jour à venir de son retour.

Paris, été 42, juste avant la nuit noire…

Jeudi 1 mai 2008

1er mai et toujours Jean-Marie Le Pen à battre le pavé parisien avec sa cohorte d’irréductibles racistes, xénophobes, négationnistes et adeptes de la préférence nationale. L’homme persiste dans sa négation des chambres à gaz – les réduisant à un « détail » de l’histoire de la Seconde guerre mondiale. Si Marine Le Pen s’est empressé de prendre ses distances avec les déclarations de son père, peu de voix fortes se sont élevées pour fustiger l’horrible personnage, comme si la vieille carne, peut-être sénile, pouvait continuer de déblatérer dans l’indifférence générale. Fini le Front national ? Ils étaient pourtant encore très nombreux à emboîter le pas de son leader populiste près de la statue de la Sainte Jeanne d’Arc.
Alors, en cette journée de commémoration de la Shoah, une pensée pour ces autres Français qui, dès juin 1942 alors que les autorités françaises, planquées à Vichy, se vautraient dans l’antisémitisme d’Etat, refusaient de se soumettre. Des noms sans visage, souvenirs d’arrestations recueillis sur un carnet moleskine au Pavillon français du camp d’Auschwitz comme les minutes de l’assombrissement du monde : « 7 juin à 17h15, boulevard des Italiens, Lang Marie, née le 24 avril 1914, Paris 20e, marchande de journaux, 10 rue du Croissant, avait attaché un insigne juif en papier au cou de son chien. Elle a avalé l’insigne… Decize Simon Liliane, née le 6 avril 1912, Paris 11e, française, aryenne, 6 rue Jules Vallès, Paris 11e, arrêtée boulevard Saint-Michel une cocarde jaune en forme de rose. »
Et cette image, encore, la seule de la rafle du Vel d’Hiv et de ses 13 152 victimes, devenue le symbole de la déportation des juifs français sous l’Occupation. Le 16 juillet 1942 et les jours suivants, plus de 13 000 juifs sont arrêtés. Entassés dans des autobus, la plupart sont conduits, sans distinction d’âge et de santé, au Vélodrome d’Hiver, sur le quai de Grenelle, où ils restent jusqu’au 21 juillet, en pleine chaleur, sans hygiène et peu de nourriture. Le 22 juillet, elles sont évacuées vers les camps de Drancy, Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Loiret). Les parents, puis, fin août, les enfants sont régulièrement déportés vers les camps d’extermination. Trois années plus tard, seules quelques dizaines d’adultes reviendront… Jusqu’à quand, alors que l’Histoire a fait son chemin, devrons-nous subir les insultes de M. Le Pen à la mémoire de tant de victimes ?

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La seule image de la Rafle du Vél’ d’hiver, 16 juillet 42 © DR