Le vieux quartier juif de Cracovie © Office Tourisme Krakow
De la Pologne, je ne savais pas grand chose. Peut-on dire que j’en sache davantage après une journée à faire le piéton dans les rues de Cracovie ? Karol Wojtyla, Lech Walesa, le ghetto de Varsovie, les chantiers de Gdansk et Solidarinosc, Kantor, Mère Térésa, le malheureux père Popielusko, le génial Warlikowski, le général Jaruzelski et les affreux jumeaux populistes, voilà en quelques lieux communs résumée ma culture polonaise. Alors, pourquoi Cracovie ? La réponse est simple : la compagnie low-cost Easy Jet dessert la ville, à une heure de voiture d’Auschwitz. Sans cela, il n’est pas sur qu’elle eut fait partie de mes priorités.
Alors ? Cracovie n’est plus belle, Cracovie n’est pas libre. Elle se donne à la nuit tombée. Pas une ville fantôme, plutôt une ville martyre de l’histoire de l’Europe et de ses errements : la splendeur des temps passés – en témoignent toutes ces Eglises que peuple un défilé de cornettes -, la guerre – tristesse des ruelles abandonnées du quartier juif -, l’enfer ensuite du communisme, la chute de la maison Russie, le retour à la démocratie et bientôt l’Europe comme possible communauté d’avenir, rêve de croissance et de libéralisme.
Ainsi, Cracovie ressemble à tant d’autres villes des Balkans, du nord ou de l’Est de l’Europe… Comme ailleurs, ce qui la déride est cette jeunesse éprise de modernité, fière de son indépendance aux dogmes politiques ou religieux, cultivant sa liberté dans un absolu que la belle Europe occidentale a perdue. Ici, au soir, on s’offre une fleur, tulipe ou jonquille, en manière de bouquet, on mange une glace en famille en faisant le tour des « planty », cet immense parc circulaire autour de la vieille ville. Après, on rentre ou on sort danser dans des boîtes techno. L’alcool – vodka que certains sirotent en douce dans des canettes de coca – fait encore des ravages, mais au matin, le pays se lève tôt. Filles et garçons s’habillent comme ils peuvent à la mode d’aujourd’hui. Dans les magasins, peu de belles choses à acheter, les enseignes connues (Lacoste, Benetton, Puma, Diesel, Adidas) proposent une marchandise qui ne trouverait preneur qu’à Guingamp ou Vierzon… La jeunesse s’en fout, nouant une cravate rose sur un costume noir pour aller consulter ses mails au McDo du coin ; laissant passer quelques nonnes et trois garçons dans le vent, soutane marron et sourire de belle amitié aux lèvres ; se retrouvant sur les bords de la Vistula quand celle-ci, à la tombée de la nuit, se fait Garonne majestueuse accueillant au pied de la Cathédrale les amours débutantes, les parties d’échec et les pique-nique improvisés… En ville, la dame aux petits pains a déjà rangé son étalage clandestin. Femme de tristesse et d’exode, elle rejoint, à petits pas, la gare pour prendre un train vers une banlieue de terrain vague…