Archive pour mars 2008

Les clairs obscurs d’Eija-Liisa Ahtila

Dimanche 30 mars 2008

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Where is Where? Eija-Liisa Ahtila, 2008.
Photographie de Marja-Leena Hukkanen. Courtesy Marian Goodman Gallery.

Dernier jour de la rétrospective d’Eija-Liisa Ahtila au Jeu de Paume à Paris. En quelques années, l’artiste finlandaise est devenue l’un des maîtres contemporains de l’art vidéo. A découvrir la dizaine de vidéos, les séries photographiques, les maquettes et installations, c’est l’inconfort qu’elle manie, dirions-nous, avec la plus grande fermeté. Ses images, superbement éclairées, laissent le goût amer d’intranquillité – comme ce bateau de pêcheurs d’Afrique occidentale tentant en vain de prendre le large mais que des rouleaux mer les font sans cesse échouer sur la plage. Choc, émotion, Eija-Liisa Ahtila capte ses états humains comme autant de ses obsessions personnelles et les transmet dans des cadres bucoliques de forêts, d’étang et de rivières d’eau claire avant que la nuit ne se fasse très noire et les émotions incertaines…

Souvenirs de l’Académie espagnole

Dimanche 30 mars 2008

Tant de convoitises autour de l’Académie de France à Rome ! Après le hold-up manqué de Georges-Marc Benamou et l’opération de résistance menée tambour battant par Olivier Poivre d’Arvor et une ligue de pétitionnaires de haut vol, le bal des prétendants a rouvert. Sur injonction présidentielle, c’est au sarkozien Hugues Gall, ancien président de l’Opéra de Paris, entouré d’une commission ad hoc qu’il reviendra d’auditionner les candidats et de faire des propositions à la ministre de la Culture, ranimée rue de Valois depuis l’échec de la droite aux municipales. L’affaire a été commentée dans de nombreux médias et particulièrement bien par Le Figaro qui y consacrait ce samedi une enquête intéressante dans son supplément culturel. Pour en savoir davantage, je ne saurai trop vous recommander la lecture de « L’Incognito » d’Hervé Guibert (Gallimard), un roman à clés facétieux, tiré de ses deux années passées aux côtés du poète belge Eugène Savitzkaya à la Villa Médicis, rebaptisée avec humour « l’Académie espagnole ». Vous aurez, entre les mains, un témoignage de première main – de première méchanceté ? – sur la vie de quelques heureux pensionnaires sur les hauteurs de Rome au temps de Jean-Marie Drot…

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La Villa Médicis sous le soleil romain © DR

Bashung, le dernier des solitaires

Samedi 29 mars 2008

Que se passe-t-il, M. Bashung ? Il ne peut être seulement question de marketing viral ! Comment cette presse de dithyrambe, exultante, à vos genoux… Du Monde – ce portrait proprement « stupéfiant » de Véronique Mortaigne – à France Inter, en passant par Le Figaro, Libération et les Inrockuptibles ? La couverture de Télérama étant momentanément occupée par les élucubrations de Daniel Cohn-Bendit, vous reviendrez sans doute en deuxième semaine – métaphore de ce qu’est devenu ce journal, suiviste et incapable de la moindre prescription, en un mot, un journal mort malgré les excellents journalistes réunis autour du cercueil.
Sans doute, parce que bien vivant, vous l’êtes, M. Bashung dans cet album qui vibre d’un sombre éclat. Des mélodies qui accrochent d’instinct l’oreille, des textes de sombre mélopée qui serrent le coeur. Ainsi les textes hauts d’Himalaya de Gérard Manset vous cintrent avec une élégance sans pareille. « L’imprudence », le titre de votre disque précédent, colle comme une prémonition à cet album nouveau. Vous nous terrassez de votre voix incandescente, de l’interprétation fulgurante des textes de ceux qui vous donnent le meilleur d’eux. Ab libitum, ce voyage en solitaire du plus beau bleu pétrole…

« On dirait qu’on sait lire sur les lèvres / Et que l’on tient tous les deux sur un trapèze / On dirait que sans les points on est toujours aussi balèzes / Et que les fenêtres nous apaisent / On dirait que l’on soufflerait sur les braises / On dirait que les pirates nous assiègent / Et que notre amour c’est le trésor / On dirait que l’on serait toujours d’accord… »

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Bleu pétrole, Alain Bashung © DR

Lagarce / Guibert : le mausolée des auteurs

Samedi 29 mars 2008

 »Un autre sentiment, encore le sentiment que j’avais énormément travaillé. En 10 ou 12 ans, j’ai écrit une douzaine de pièces et j’ai fait dix-huit mises en scène et les deux films vidéo et tout ce travail, cette masse de chose me paraît n’être rien, n’avoir rien donné de bien bon, de nécessaire qui puisse me survivre, alors que les autres, le Monde semble avoir entendu, vu et commence peu à peu à le percevoir comme une masse (pour les autres, je suis un uteur, je suis un metteur en scène et moi, je suis juste un corps malade, une personne qui a raté sa vie)… Toujours la même histoire ne pas être vu comme on croit être. »
Jean-Luc Lagarce

Vendredi dernier, on vendait les dernières reliques d’Hervé Guibert à l’encan. Sous le marteau de Me Binoche, des quantités de portraits d’enfants par Henri Heraut, une petite mais célèbre marine d’Aïvazovski, des affiches de « Théorème », de Zouc et d’autres passions passées d’Hervé Guibert… Je n’y étais pas, préférant la compagnie des toros bravos des arènes d’Arles à celle des derniers de Drouot. Prévenu par Christine Guibert, mais déjà détenteur du « Kafka » en pléiade de Guibert, vendu une centaine d’euros lors de la première vente organisée en janvier 2002, je m’en tenais à cet unique témoignage d’admiration, sans doute un peu agacé de la première foire d’empoigne qui voyait ses « amis » s’emparer des pépites de sa collection pour quelques centaines d’euros, alors que certains savaient bien, par exemple, qu’une photographie de Duane Michals valait beaucoup plus… De jolis souvenirs, tout de même, celui du discret Mathieu Pieyre et de Sophie Calle désormais propriétaire du fameux singe vert empaillé vu sur les photographies et dans le film « La pudeur ou l’impudeur »…
Alors pourquoi cette mauvaise humeur ? Tout simplement parce qu’au moment où l’on brade Hervé Guibert, on célèbre avec talent et intelligence Jean-Luc Lagarce. Entrée au répertoire de la Comédie française et mises en scène de la plupart de ses textes, suivies de tournée aux dates multiples, biographie de l’ancien journaliste de Libération Jean-Pierre Thibaudat, colloque de haute volée à Besançon, témoignages nourris et généreux de ses proches, rassemblés pour que vive longtemps l’œuvre d’un homme, lui aussi subjugué par le talent de Guibert…
Dernière preuve de cet engagement collectif au service de sa postérité, le spectacle « Ebauche d’un portrait » au Théâtre Ouvert, tiré par François Berreur de ses cahiers intimes, publiés aux Solitaires intempestifs. Porté par la grâce du comédien Laurent Poitrenaux, cette pièce clôt magnifiquement cette formidable « année Lagarce » et fait définitivement de lui l’un des nos grands auteurs contemporains. Par comparaison, Hervé Guibert continue de faire tristement figure d’écrivain maudit sans que cela ne puisse être considéré comme un avantage. Projet de coffret sonore du journaliste Vincent Josse, associant Jean-Louis Trintignant, Juliette Gréco, Anouk Grinberg et Dominique A avorté faute de soutiens, nouveau report de la parution des « Articles intrépides », désormais annoncé pour la rentrée de septembre, publications universitaires à l’avenant n’offrant aucune perspective « grand public », comment ne pas enrager devant un tel gâchis ?

Ebauche d’un portrait, par François Berreur, Théâtre ouvert, Paris, jusqu’au 1er avril 2008

Pour saluer Edouard Levé

Lundi 24 mars 2008

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La Blessure (série Transferts), Edouard Levé, 2004 © Galerie Loevenbruck

Il était à coup sûr l’un des photographes les plus intéressants de sa génération, doublé d’un écrivain et d’un plasticien doué. Il s’est donné la mort en janvier dernier, laissant quelques jours plus tôt un livre nommé « Suicide » à son éditeur, POL. Cette mort voulue, j’allais dire orchestrée, a sans doute à voir avec une infinie tristesse à vivre, mais la manière de signer ce geste témoigne d’une exigence désespérée qui nous fera longtemps regretter le plaisir de ne plus être transporté par les nouvelles créations d’Edouard Levé. Ses amis de la galerie Loevenbruck lui rendent ces jours-ci hommage en proposant une rétrospective, semaine après semaine, de ses principales séries (Quotidien, Pornographie, Homonymes, Fictions). Il faut s’y précipiter et découvrir avec respect ce talent rongé par ses propres « Angoisse »…

Hommage à Edouard Levé, Galerie Loevenbruck, jusqu’au 10 mai 2008.

Le monochrome bleu de Derek Jarman

Lundi 24 mars 2008

Que vous soyez à Londres ou à Paris, noter ces deux événements à ne pas rater. Deux hommages bienvenus à Derek Jarman. Comment dire qui il était ? De lui, on pourrait produire un curriculum vitae impressionnant : décorateur, réalisateur (« The last of England », « Edward II », « Wittgenstein »), scénariste, acteur, jardinier, poète, né en 1942 à Londres, décédé des suites du sida en février 1994. Comme Jean Cocteau dont le festival « Théâtres au cinéma » le rapproche opportunément, Derek Jarman était un touche-à-tout. De génie, peut-être pas, mais de grand talent, sans conteste : symbole d’un combat permanent pour l’art, doué d’une culture fantastique et d’un amour des jardins qui lui fit écrire « Un dernier jardin », beau livre sur son étrange jardin de Dungeness (Kent), planté entre un vieux phare et une centrale nucléaire, qui reste malgré les années comme un talisman sur les tables basses de tous les avertis.
Pour moi, il demeure encore et surtout le réalisateur de l’inoubliable « Blue », son dernier film monochrome bleu, métaphore tragique d’une lutte contre la mort annoncée. A la fin de sa vie, Jarman, presque aveugle, ne pouvait plus entrevoir que le bleu… Ce film est à découvrir, accompagné au piano par le compositeur Simon Fisher Turner à Bobigny au Magic cinéma dans le cadre d’une soirée exceptionnelle le 12 avril à 21h00. Il fait aussi l’objet d’une exposition à la Serpentine Gallery, curatée par le plasticien Isaac Julien. Derek Jarman gagne ainsi son immortalité. Amère consolation.

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Derek Jarman © DR

Rétrospective Derek Jarman,
Festival Théâtre au Cinéma, Magic Cinéma, Bobigny, du 28 mars au 13 avril 2008
Derek Jarman curated by Isaac Julien, Serpentine Gallery,
Serpentine Gallery, Londres, du 23 février au 13 avril 2008.

Une féria d’Arles sans soleils

Dimanche 23 mars 2008

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José Maria Manzaneres © Frédéric Speich

On aura beau dire, on aura beau faire les autruches en déplorant un week-end de Pâques cette année très précoce : les deux premières courses de la Féria de Pâques en Arles ne laisseront pas un souvenir impérissable aux aficionados qui avaient fait le déplacement pour jauger de la bonne forme de leur toréro favori avant les grands rendez-vous de la Pentecôte et de l’été.
Accueilli dans un vent glacial et par une pluie menaçante, rangé comme des sardines par l’épicier Jalabert, il fallait du courage pour tenir plus de deux heures face au peu d’allant des toros qui laissaient Juan Bautista pourtant auréolé d’un portrait par Francis Marmande dans Le Monde, Joselito Adame, José Maria Manzaneres, El Cid comme désarmés. Enrique Ponce et El Juli tirèrent avec professionnalisme quelques passes habiles à leurs toros, mais d’incandescence et de ferveur dans les arènes arlésiennes, il n’y en eut pas… Qu’à cela ne tienne, de nouvelles promesses de bonheur tauromachique déjà nous attendent et notamment le mano à mano José Tomas / Sébastien Castella dans les arènes de Nîmes à la Feria de Pentecôte… Avec eux, la magie souvent opère…

A noter la création d’un Observatoire des cultures taurines, emmené par André Viard, Francis Wolff et quelques autres (Michel Vauzelle, président de la région PACA, Hervé Schiavetti, maire d’Arles) pour ne pas laisser l’Alliance anti-corrida tenir le haut du pavé et réussir à interdire l’accès des corridas aux mineurs.

Madonna : 4 minutes, 50 ans

Dimanche 23 mars 2008

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Madonna © Pizello / AP

« Time is waiting / No hesitating »… « Vieillir, quel naufrage » doit parfois se dire Madonna, 50 ans en août prochain, à la manière du Président de Gaulle. Même si un triomphe dans les charts semble assuré pour son album « Hard candy » à paraître le 28 avril, on se demande qu’est ce qui fait courir Louise Veronica Ciccone, encore Mrs Ritchie pour quelques semaines selon les tabloïds et lestée d’un contrat en or avec Live Nation, derrière Timbaland et Justin Timberlake et chanter « Tick tock tick tock » ou encore « the road to heaven is paved with good intentions » sur son dernier titre « 4 minutes ».
Déjà, à la sortie de « Frozen » en 1998, Neil Tennant des Pet shop Boys avait pointé l’une des nombreuses contradictions de la mégastar : tout ce déferlement de moyens et d’intelligence marketing pour chanter « Love is a bird, she needs to fly »… Mais, à quoi bon s’en formaliser, on a déjà téléchargé et écouté en boucle le fameux morceau instantanément devenu tube planétaire. Et demain, en panurge, on ira se faire rançonner de 200 euros pour la voir danser et chanter en play-back au Stade de France, comme hier à Bercy dans son déplorable Confessions Tour (photo)… Je ne suis pas non plus à la première contradiction près !

Keith Haring : Happy Valentine, New-York !

Dimanche 23 mars 2008

C’est un temps que nous ne connaîtrons jamais, une époque révolue, une atmosphère disparue. Pour ceux qui n’en sont pas morts, elle est une nostalgie définitive. Au-delà de la performance, la vaste exposition des œuvres de Keith Haring au Musée d’art contemporain de Lyon, la plus importante jamais organisée en France, vaut pour ce qu’elle ne parvient pas du tout à montrer parce que bien trop timide et surtout trop occupée à démontrer que le talent de Keith Haring renvoie aux plus grands (Picasso, Pollock) ou à la mythologie ancienne. Ce qui manque ? L’extraordinaire et incessante vitalité créatrice du New York 1980 qui a fait de Keith Haring ou de Jean-Michel Basquiat deux de ses plus beaux enfants. Avant eux, il y avait eu Andy Warhol et sa Factory. Il sera leur parrain, les encouragera face à un monde de l’art effrayé par ces garçons des rues. Le sida, la drogue les emportent très tôt, leurs œuvres comme des comètes sont des plus populaires aujourd’hui. Et ce n’est que justice. Alors, leur ancienne amie de galère, Madonna, peut continuer de chanter pour eux : « No other city ever made me glad except New York / I love New-York »…

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Keith Haring et Jean-Michel Basquiat, au Club 57 © Estate of Keith Haring.

The Keith Haring Foundation
Rétrospective Keith Haring, Musée d’art contemporain de Lyon, jusqu’au 29 juin 2008.

Ton Jacques retourne en enfer !

Dimanche 23 mars 2008

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Laurent Pelly, Agathe Mélinand © Emmanuel Grimault

Ces deux-là ont un talent fou ! Ils sont indissociables, l’une à la dramaturgie, l’autre à la mise en scène. Laurent Pelly, 45 ans et déjà de longues années de théâtre et d’opéra derrière lui, Agathe Mélinand, trois années de plus et des dispositions indéniables à dénicher des textes et à les adapter pour les mises en scène de son complice. Ils viennent de prendre la direction du Théâtre national de Toulouse après Jacques Nichet. Pour l’heure, c’est au Théâtre de l’Athénée à Paris qu’on peut découvrir leur dernière création, après une « Vie parisienne » d’Offenbach « sold-out » en décembre à l’Opéra de Lyon !
A leur répertoire, Eugène Ionesco. Sans leurs deux noms sur l’affiche, peu de chance qu’on eut été attiré par l’auteur de « La cantatrice chauve », du « Rhinocéros » et des « Chaises » – pour cela, il y a l’éternel Théâtre de la Huchette qui les joue sans discontinuer et peut-être même savoir que l’auteur d’origine roumaine, élu à l’Académie française en 1970, est mort en mars 1994.
Mais revenons à ce fameux Jacques et à l’avenir des œufs. Laurent Pelly et Agathe Mélinand ont associé ces deux pièces d’Ionesco, écrites vraisemblablement vers 1950 : « Jacques ou la soumission » et « L’avenir est dans les œufs ». La représentation commence tambour battant dans un décor de crash – Jacques est tombé de sa chaise, a traversé le parquet sous les assauts de sa famille d’huluberlus, père-la-morale, mère-léopard, grand-mère gâteau gâteuse, grand-père libidineux et sœur 10 000 volts sans compter bientôt une petite amie laide au point d’avoir trois nez et des beaux-parents d’une engeance assez similaire aux siens – et se poursuit sur ce rythme pendant près de deux heures. C’est intelligent, drôle, enlevé, les acteurs au diapason de la comédie et les mots d’Ionesco sont comme sauvés de l’absurde dans lesquels l’Education nationale les a « formolisés »… Une belle soirée qui renvoie le patrimoine Ionesco à la modernité et fait de Valère Novarina un tout petit héritier bien verbeux comparé à l’étincelante inventivité verbale du respectable Eugène !

Jacques ou la soumission / L’avenir est dans les oeufs, Eugène Ionesco, Théâtre de l’Athénée, jusqu’au 5 avril 2008.

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