L’homme blessé, 1854 © Gustave Courbet
« Dans cette fourmilière de tartines banales ou prétentieuses qui encombrent le Salon, le peintre d’Ornans donne son coup de trique et l’on respire devant ces deux toiles : un petit « Paysage » qui est une perle et un « Mendiant d’Ornans » qui est le dernier mot de la lumière. Continuez ainsi chaque année, bon maître, et que ceux qui sont nés peintres vous suivent, car vous êtes bien loin devant, vous qui voyez juste… » A la manière de cette caricature figurant à la toute fin de l’exposition Courbet au Grand Palais, longtemps que nous n’avions pas vu une exposition aussi captivante !
Mariant les thèmes à la chronologie, on suit le parcours d’exception de l’enfant gâté de Franche-Comté. Des débuts en maestria (« Le sentiment du jeune âge », 1844), où ses autoportraits (au violoncelle, à la ceinture de cuir, au chien noir, « Le Désespéré ») et ses portraits d’amis et d’hommes en ténèbres (« L’homme blessé ») le distinguent déjà du tout-venant, jusqu’aux natures mortes et « Truites de la Loue » de l’homme brisé par l’emprisonnement à Sainte-Pélagie pour son engagement auprès des Communards, Gustave Courbet est un peintre engagé.
Ses toiles-manifestes (« Un enterrement à Ornans », « L’Atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique ») revendiquent, dit-il, un « art vivant » à même de « traduire les mœurs, les idées, l’aspect de mon époque selon mon appréciation ». Avec subtilité, l’exposition rapproche les tableaux de Courbet des sujets de la photographie naissante (Cuvelier, Narda). Le temps de l’excellence et de la plus grande incandescence créatrice.
Avec les années, Courbet perd de sa singularité, s’arrondit, devient peintre de paysages réinventés pour sa propre géographie « intime », puis d’une indécise tentation moderne et mondaine d’où surnage le très beau « Jo la belle Irlandaise (1866). La chasse, la politique et les femmes l’occupent désormais plus que ses amis ou sa famille. Elles sont nues, baigneuses callipyges, formes pleines et seins lourds, libérées (La femme au perroquet, 1866), saisies en extase saphique ou à l’origine du monde… Gustave Courbet meurt en 1877, réduit à l’exil après la destruction de la Colonne Vendôme, épuisé par ses combats républicains. Quelques années plus tôt, sa sœur, Zoé Reverdy, confiait : « Tous les sujets sont autant de portraits »…
Galeries nationales du Grand Palais